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États-Unis : des migrantes en détention victimes d'hystérectomies

"Négligence médicale", "collectionneur d’utérus", "pandémie silencieuse"... Une infirmière d'un centre de détention en Géorgie, dans le sud des États-Unis, a dénoncé les mauvais traitements infligés aux détenues immigrées, en particulier des hystérectomies pratiquées en nombre. Une plainte a été déposée lundi par plusieurs ONG, dont Project South, auprès du gouvernement américain.

C'est une infirmière du Centre privé de détention de Géorgie, à 300 kilomètres au sud d'Atlanta, qui a lancé l'alerte. Dawn Wooten, 42 ans, qui exerce depuis plus de dix ans en prison, a porté plainte lundi 14 septembre pour dénoncer des conditions sanitaires déplorables à l'égard des immigrées détenues.

D'après son témoignage recueilli par l'ONG Project South, plusieurs femmes détenues se plaignant de cycles menstruels abondants ont été envoyées chez un gynécologue qui leur a fait subir des hystérectomies – un acte chirurgical qui consiste à ôter tout ou partie de l'utérus. "À peu près toutes celles qui vont le voir subissent une hystérectomie", s'inquiète la lanceuse d'alerte.

Son témoignage, qu'elle a également accordé au site d'actualité The Intercept, concorde avec celui d'autres membres du personnel qui ont, eux, préféré rester anonymes.

"Un camp de concentration expérimental"

Quatre migrantes détenues dans le centre ont également fait part, dans le rapport de Project South, de leurs inquiétudes sur le nombre important de détenues immigrées ayant subi une hystérectomie. L'une d'entre elles en a rencontré cinq qui ont été opérées entre octobre et décembre 2019. "Quand j'ai rencontré toutes ces femmes qui ont subi cette intervention chirurgicale, je me suis dit que ça ressemblait à un camp de concentration expérimental. C'était comme s'ils faisaient des expériences sur nos corps", a-t-elle réagi.

L'identité du gynécologue qui consulte à l'extérieur du centre de détention n'est pas précisée dans le rapport. Dawn Wooten le surnomme le "collectionneur d'utérus".

Si des problèmes liés aux ovaires peuvent justifier une hystérectomie, Dawn Wooten constate que l'acte devient quasi systématique pour les détenues immigrées qui se rendent chez ce gynécologue. Et souligne le fait que ces femmes, pour la plupart hispanophones, semblent mal ou peu informées sur l'intervention qu'elles ont subie.

Des programmes de stérilisations forcées ont déjà été révélés aux États-Unis. En juillet 2013 notamment, le Center for Investigative Reporting accuse l'administration pénitentiaire de l'État de Californie d'avoir eu recours à cette pratique sur au moins 148 femmes détenues entre 2006 et 2010.

La lanceuse d'alerte rapporte également des erreurs médicales grossières, comme un ovaire droit enlevé au lieu du gauche. "La détenue, qui n'était pas complètement anesthésiée à la sortie de l'intervention, a entendu le médecin dire à l'infirmière qu'il n'avait pas enlevé le bon. Elle a dû y retourner se faire ôter l'autre ovaire à cause d'un kyste." "Elle était bouleversée", poursuit-elle. "Elle voulait toujours des enfants mais elle a dû dire à son mari qu'elle ne pourrait plus en porter."

Ces accusations viennent confirmer ce que les immigrants détenus rapportent depuis plusieurs années : un mépris flagrant des normes de santé et de sécurité, un manque de soins médicaux et des conditions de vie insalubres, précise le rapport de Project South.

Pas de tests du Covid-19, ni de zone de quarantaines

Sur ce point, les conditions sanitaires n'ont "fait qu'empirer" face à la menace du Covid-19, assure Dawn Wooten. Elle décrit "une pandémie silencieuse" qui sévit derrière les barreaux du centre : pas de tests pour les immigrants présentant des symptômes du virus, pas de respect des zones de quarantaines… Plusieurs détenues latino-américaines ont dénoncé ces conditions sanitaires dans une vidéo en avril dernier, dans laquelle elles réclament de l'aide. 

Les conditions de travail ne sont guère plus glorieuses pour les salariées du centre. Dans son interview à The Intercept, l'infirmière assure que le personnel de santé a dû continuer de travailler même s'il présentait des symptômes du Covid-19. Des manquements qui ont, selon elle, coûté la vie à sa responsable administrative, Marion Cole, décédée du virus en mai dernier.

Depuis ses multiples cris d'alerte, Dawn Wooten affirme avoir été rétrogradée en juillet. Son poste à temps plein s'est transformé en vacations "à la demande" sans "explication ou justification appropriée". La lanceuse d'alerte vit aujourd'hui sous protection.