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Semer les graines de la sécurité

Cette semaine, Élément Terre pénètre chez Bayer pour un tournage rare. Le groupe allemand nous a ouvert les portes de son usine de semences du sud-ouest de la France, une unité unique en Europe.

Bayer, le géant des semences

C'est à Peyrehorade que le groupe produit des graines vendues aux agriculteurs. "Dans un sac de semence, il y a une promesse faite à l'agriculteur : à partir de ton sac de 50 000 grains que tu vas semer, tu vas avoir 50 000 plantes, qui vont te donner 50 000 épis de maïs, donc qui vont te garantir ton revenu", nous explique Gwenola de Fontenay, responsable du contrôle qualité pour les semences chez Bayer.

L'entreprise produit des semences hybrides, dites "F1", résultats du croisement de deux lignées.

Toutes les semences sont inscrites dans un catalogue européen qui consigne plus de 43 000 espèces potagères et agricoles, et où les agriculteurs viennent piocher chaque année.

Le système de catalogue de semences a été mis en place dans la seconde partie du XXe siècle en Europe, quand le continent voulait moderniser son agriculture, la rendre plus productive, plus mécanisée, mais dans le même temps plus uniforme et standardisée.

"S'il n'y avait pas de catalogue, poursuit Gwenola de Fontenay, il n'y aurait pas de semencier. Personne ne mettrait sur le marché des semences, si dès l'année d'après, tout le monde pouvait les utiliser. Vous ne pouvez pas faire sept ans d'efforts si derrière vous n'avez pas de garantie que cela va être protégé."

Kokopelli, les hors-la-loi 

"Ce catalogue, il faudrait le brûler !", réagit Ananda Guillet, président de l’association Kokopelli, qui commercialise depuis 20 ans et en toute illégalité des semences hors catalogue. Voilà tout l'enjeu : les semences F1 sont dégénérescentes. Passée la première récolte, on n'est pas sûr de leur évolution, de leur rendement. Ces graines, les agriculteurs les rachètent donc chaque année pour s’assurer des récoltes abondantes et stables.

Les semences produites par Kokopelli, elles, peuvent être conservées par les agriculteurs et replantées d'une année sur l'autre. "Le F1 c’est totalement scandaleux !", s'insurge Ananda, une casquette en feutre vissée sur la tête, "parce que ça verrouille le système agricole, ça force les agriculteurs à repasser au tiroir-caisse tous les ans. Ils n’ont pas le choix des semences qu’ils achètent".

Conséquence, les agriculteurs "vont racheter des semences qui vont avoir besoin de tout le package technologique et tous les produits phytosanitaires vendus par les industriels et qui font la réelle fortune de (ces derniers)", poursuit Ananda. "Bayer est avant tout un vendeur de produits chimiques. La semence n'est que le créateur de marché."

Les variétés F1 ont certes un rendement plus élevé. Mais d'autres caractéristiques comme le goût et leurs apports nutritionnels font l'objet de nombreux débats.

Le débat se poursuit

Séverine Monzies et Tiffen Tolnay sont maraîchers en Ariège, dans le sud-ouest de la France. Installés en agriculture biologique, ils produisent un large éventail de fruits et légumes : pastèques, melons, tomates ou encore courgettes.

Le couple connaît bien le problème. Pour eux, tous les types de semences sont nécessaires. Ils privilégient les semences dites "variétés de population", reproductibles, mais ont parfois besoin des F1, quand une parcelle est touchée par un virus.

Leur crédo : la biodiversité agricole et l'autonomie des agriculteurs. Ils évitent donc les semences hybrides au maximum, tout en restant réalistes. 

"On fait un peu d’hybride quand-même parce que oui ça produit effectivement beaucoup beaucoup plus", explique Tiffen, "mais si on donnait tout le pouvoir à quelques maisons qui font des hybrides F1 et que tout le reste disparaissait (...), ça voudrait dire qu'on ne serait plus du tout souverain, on n'aurait plus de graines à nous."