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Présidentielle américaine : le retour des trolls russes

L’Internet Research Agency, l’agence de propagande russe très active lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, a refait surface ont constaté le FBI, Facebook et Twitter. Ils ont démantelé une opération de propagande reposant sur un faux site d’information à destination des électeurs les plus à gauche du parti démocrate. 

“Le ticket Joe Biden-Kamala Harris montre comment la gauche occidentale fait le jeu du populisme de droite”, ou encore “La politique de Donald Trump permet à l’extrême droite américaine de gagner du terrain”. Ces titres accrocheurs du site Peace Data feront sûrement le bonheur des partisans de l’aile gauche du parti démocrate américain. Mais ces derniers seront probablement moins heureux d’apprendre que ces articles sont le fruit de l’Internet Research Agency (IRA), la fameuse usine à propagande russe qui, depuis ses locaux à Saint-Petersbourg, s’était illustrée lors de l’élection américaine de 2016.

Peace Data est au cœur d’une opération de propagande russe dévoilée, mardi 1er septembre, par Facebook et Twitter qui ont été alerté de l’existence de cette menace par le FBI. C’est le premier cas confirmé d’implication de l’IRA dans un effort pour influencer la campagne présidentielle américaine de 2020.

Décourager les électeurs les plus à gauche

Facebook a bloqué treize comptes et deux pages qui semblent liés à Peace Data, tandis que Twitter a suspendu cinq comptes associés à cette opération. Le FBI et les deux géants des réseaux sociaux semblent avoir coupé l’herbe sous le pied des propagandistes russes avant que l’opération ne décolle vraiment. 

Mis en place en décembre 2019, Peace Data n’a commencé à publier ses propres articles qu’au printemps 2020. L’IRA “n’a pas encore eu le temps de générer autant d’engagement [par le biais de retweet, ou de “Like”, NDLR] qu’en 2016”, note Graphika, une agence américaine d’analyse des réseaux sociaux qui a travaillé avec Facebook pour décortiquer l’opération russe.

Mais ce retour confirmé du grand méchant de la campagne américaine de 2016, accusé d'avoir tout fait pour favoriser l'élection de Donald Trump, n’en demeure pas moins inquiétant pour l’intégrité de l’élection à venir aux États-Unis. “Ils utilisent la même stratégie qu’en 2016, mais ont amélioré leurs techniques pour passer davantage inaperçus”, souligne Bharath Ganesh, spécialiste de la propagande en ligne à l’université de Groningen, et qui a travaillé sur le modus operandi de l’IRA, contacté par France 24.

Les propagandistes russes continuent, sur leur lancée de 2016, à tenter de “construire un écosystème alternatif de médias capables d’amplifier les thèmes conflictuels afin d’accentuer la polarisation politique de la population américaine”, résume Bharath Ganesh. 

Cette fois-ci, ils semblent avoir jeté leur dévolu sur l’électorat de gauche pour le diviser, alors qu’en 2016, l’IRA s’était essentiellement attachée à motiver les conservateurs à voter Donald Trump. “Le fait que le parti démocrate ait opté pour un candidat modéré avec Joe Biden ouvre un boulevard à l’Internet Research Agency, qui peut chercher à le décrédibiliser aux yeux des électeurs les plus à gauche dans l’espoir de décourager ces derniers à aller voter en novembre”, analyse Friedolin Merhout, un chercheur en sociologie des médias à l’université de Copenhague et coauteur d’une étude sur l’impact de la propagande de l’IRA sur le comportement politique aux États-Unis. 

Fausse photo de profil, mais vrais journalistes

Pour atteindre leurs objectifs, les agents russes ont mis à jour leurs outils. Ils ont, notamment, profité des dernières avancées en matière d’intelligence artificielle pour créer de toute pièce des photos de la prétendue équipe éditoriale de Peace Data. Ce recours à des photos de profils générées par l’IA, au lieu d’aller piocher dans des banques d’images libre de droit, “complique le travail d’identification des faux comptes”, reconnaît Friedolin Merhout. 

La plupart des articles du site ont aussi été rédigés par des vrais journalistes nord-américains, qui pensaient avoir été recrutés par une nouvelle publication en ligne de gauche alors qu’ils travaillaient en réalité pour l’IRA. “On était libres de choisir nos sujets, du moment qu’ils coïncidaient avec la ligne éditoriale générale, et le texte était rarement retouché”, a raconté au New York Times l’un des ces pigistes.

Ce recours à de la main d’œuvre locale a déjà été utilisé lors des efforts de propagande de l’IRA, en Afrique, en avril 2020. “Cela permet d’éviter les erreurs grammaticales ou de syntaxe qui ont permis en 2016 de repérer les publications d’agents russes”, souligne Martin Linnes, directeur de l’Institut de recherche en sécurité de l’université de Cardiff, contacté par France 24.

Il peut sembler étonnant que l’IRA pense pouvoir réitérer son succès de 2016 en se contentant d’améliorer quelque peu ses méthodes. L’agence de propagande russe est tout particulièrement dans le viseur des autorités américaines désireuses d’éviter que l’ombre de Moscou plane de nouveau au-dessus de l’élection présidentielle.

Jouer sur les émotions plutôt qu’inventer des fausses informations

Mais pour le spécialiste de la propagande en ligne Bhareth Garesh, l’Internet Research Agency n’a pas de raison de changer fondamentalement son approche car elle a compris que “la réponse des plateformes internet, comme Facebook, a été très insatisfaisante”. Les réseaux sociaux se sont, en effet, concentrés sur la traque des fausses informations alors que “les agents russes ont moins recours que l'on pourrait le croire à la désinformation pour atteindre leurs objectifs”, souligne-t-il.

En effet, cet expert explique que l'IRA “joue avant tout sur les émotions” afin de créer la colère, la peur et semer la division dans la population. Elle n'a pas besoin d’inventer des informations de toute pièce pour y arriver. Il suffit, comme le fait Peace Data, de bien choisir ses sujets, et d’utiliser un titre et un ton alarmiste. Le fait que l’IRA puisse se permettre de s’appuyer sur le travail de vrais journalistes locaux, inconscients de participer à une opération de propagande, prouve que la désinformation n’est pas ou plus la seule arme dans l’arsenal de cette agence russe. 

En réalité, cette officine a encore moins d’efforts à déployer en 2020 pour parvenir aux mêmes résultats qu’en 2016, craignent les experts interrogés par France 24. La montée en puissance des conspirationnistes et le climat de violence sociale aux États-Unis font que les Russes “n’ont pas à être aussi bons qu’en 2016, car d’autres se chargent de faire le travail de sape à leur place”, souligne Martin Linnes, le directeur de recherche à l’université de Cardiff. Pas la peine de monter de toute pièce des réseaux de faux militants sur Internet qui amplifieraient des articles incendiaires quand “le président américain Donald Trump le fait très bien lui-même”, confirme Bhareth Garesh.