logo

Chine : "Capitalisme et idéologie", de Thomas Piketty, confronté à la censure

L'économiste français Thomas Piketty a annoncé, lundi, que son dernier livre "Capitalisme et idéologie" ne sortira "probablement" pas en Chine, son éditeur chinois exigeant certaines coupes auxquelles l'auteur se refuse.

"Capitalisme et idéologie", le dernier livre de l'économiste français Thomas Piketty consacré à la progression fulgurante des inégalités dans le monde, ne sortira "probablement" pas en Chine, l'auteur refusant les coupes exigées par Citic Press, son éditeur chinois, a-t-il annoncé, lundi 31 août, à l'AFP. 

"En résumé, ils veulent supprimer toutes les références à la Chine contemporaine, et en particulier à l'inégalité et à l'opacité en Chine. J'ai refusé ces conditions, et indiqué que j'accepterai uniquement une traduction intégrale sans coupe d'aucune sorte", a déclaré Thomas Piketty.

Considéré comme une "rock star" de l'économie, le professeur de l'École d'économie de Paris a publié cette nouvelle somme aux éditions du Seuil en septembre 2019, six ans après le succès planétaire de son livre "Le Capital au XXIe siècle" (plus de 2,5 millions d'exemplaires vendus). 

"Les autres maisons d'édition chinoises en contact avec mon éditeur français ont indiqué qu'elles exigeraient également des coupes, donc à ce stade, il est probable que ce livre ne soit pas publié en Chine continentale", a-t-il ajouté, confirmant une information du South China Morning Post.

In Capital & ideology, I offer a critical but constructive perspective on inequality regimes & their hypocrisies: in China, but also in USA, Europe, India,Brasil,Middle East.. It is sad that Xi Jinping's "socialism with Chinese characteristics" shrinks itself from open discussion https://t.co/Naj8vgcjhR

— Thomas Piketty (@PikettyLeMonde) August 31, 2020

Un premier opus salué par le président Xi Jinping

"Citic Press a eu l'honneur de coopérer avec Thomas Piketty afin de publier la version chinoise du 'Capital au XXIe siècle'. Les deux parties ont été heureuses de leur coopération. Les droits d'auteur du nouveau livre de Thomas Piketty sont toujours en négociation", a déclaré à l'AFP un porte-parole de la maison d'édition.

Ce premier opus s'était vendu à des centaines de milliers d'exemplaires en Chine, et avait même été salué par le président chinois Xi Jinping, qui avait utilisé le résultat de ses recherches sur la forte progression des inégalités aux États-Unis et en Europe comme la preuve de la supériorité du modèle communiste chinois. 

Mais dans le chapitre 12 de "Capitalisme et idéologie", consacré aux "sociétés communistes et postcommunistes", l'économiste français, après avoir épinglé la "dérive oligarchique et kleptocratique" de la Russie, s'attaque à la "ploutocratie" d'un régime chinois, qui, en matière d'inégalités de revenus a rattrapé, voire dépassé, les pays occidentaux.

"À la fin des années 2010, (...) la Chine est à peine moins inégalitaire que les États-Unis, et elle l'est nettement plus que l'Europe, alors qu'elle était la plus égalitaire des trois régions-continents au début des années 80" : cette phrase figure d'ailleurs parmi les 24 passages dont Citic Press a exigé la suppression, d'abord début juin dans l'édition française, puis début août dans l'édition anglaise. 

On trouve aussi celui-ci : "après avoir été longtemps le pays de l'abolition de la propriété privée, elle [la Chine] est devenue le leader mondial des nouveaux oligarques et de la richesse offshore, c'est-à-dire dissimulée dans des structures opaques au sein des paradis fiscaux. Plus généralement, le post-communisme, dans ses variantes russes, chinoises et est-européennes, est devenu en ce début du 21e siècle le meilleur allié de l'hypercapitalisme".

Une censure qui "illustre la nervosité croissante du régime chinois"

Si une édition russe n'est pas prévue, la Chine est le seul pays à avoir formulé de pareilles exigences, a poursuivi Thomas Piketty pour qui cette "censure illustre la nervosité croissante du régime chinois et son refus d'un débat ouvert sur les différents systèmes économiques et politiques". 

"Il est triste que le 'socialisme aux couleurs chinoises' de Xi Jinping se dérobe au dialogue et à la critique", malgré la "perspective critique mais constructive des différents régimes inégalitaires de la planète et de leurs hypocrisies" que l'économiste affirme avoir adoptée dans son livre, et qui n'épargne pas plus les États-Unis que l'Europe, le Brésil, l'Inde ou le Moyen-Orient. 

Avec AFP