
L'Assemblée nationale examine toute la semaine le projet de loi de bioéthique, et notamment l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, une des mesures phares de la loi. Engagement de campagne du président Macron, l’examen de la loi a lieu en plein été et les députés n'ont qu’une semaine pour se prononcer sur ce sujet sensible.
En cette période estivale, alors que de nombreux Français sont en vacances, la politique, elle, ne s’arrête pas. Du moins, pas avant vendredi 31 juillet, date des vacances parlementaires. Alors que le remaniement a eu lieu, les réformes doivent repartir, du moins celles qui peuvent encore être votées rapidement.
C'est dans ce contexte que l'examen en deuxième lecture du projet de loi de bioéthique a commencé lundi 27 juillet à l'Assemblée, décidé par le Premier ministre, Jean Castex, en personne, qui a pour cela rallongé la session parlementaire ordinaire afin d’en "finir" avec ce texte. Les députés devront donc plancher cette semaine sur les 2 500 amendements de cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Examiné en première lecture en octobre 2019, ce projet de loi divise la société française. Mais s'il ne fracture pas autant l'opinion que cela a pu être le cas pour la loi autorisant le mariage pour tous en 2013, une semaine d’examen de loi seulement reste un pari risqué pour un texte avec de tels enjeux et le "timing" choisi par l'exécutif interroge.
Entre les vacances après le confinement, la crise sanitaire et les incertitudes pour la rentrée, la PMA n’apparaît donc pas forcément comme une priorité. Même si globalement, l’opinion française n’y est pas opposée : selon une étude Odoxa Consulting pour Le Figaro d’octobre 2019, les deux tiers des français sont favorables à la PMA pour toutes.
Un calendrier qui interroge
Un calendrier qui apparaît d’autant plus curieux que le processus législatif implique une navette parlementaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Or en septembre, la chambre haute ne siègera pas pour cause d’élections sénatoriales. Les conservateurs étant majoritaires au Sénat, ils auront très probablement voulu amender encore le texte et ne le voteront pas tel quel, après le vote en deuxième lecture par les députés. Mais quand le Sénat examinera-t-il alors le texte ? Pour le moment, aucune date n'est fixée à l'agenda. Alors pourquoi l’exécutif s’est-il entêté à programmer un texte de société aussi clivant en plein mois de juillet ?
Tout d’abord, cette loi est un engagement de la campagne d’Emmanuel Macron. Alors qu’il a déjà renoncé à plusieurs réformes promises, reportées à cause de la crise sanitaire et économique, selon l’opposition l’exécutif tente de faire passer les mesures les plus "faciles" et qui feront descendre le moins de monde possible dans la rue. La loi de bioéthique permettrait donc au président d'apparaître comme un progressiste sur la scène politique.
Cet examen, en vitesse, avant les vacances parlementaires passe mal du côté des opposants au projet de loi. Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif pour tous, association qui lutte contre cet engagement présidentiel, n’en démord pas : "Même si l’arrivée du texte à l’Assemblée est le processus législatif normal, la période à laquelle il arrive interroge. Ce texte n’a rien d’urgent. Et cette loi ne concerne que quelques personnes seulement. Cette crise sanitaire aurait dû amener de la sagesse. Cette loi est une priorité non assumée d’Emmanuel Macron et nous nous interrogeons d’autant plus que ni le Président, ni le Premier Ministre ne l’ont évoqué lors de leurs prises de parole des 14 et 15 juillet."
"De plus, le débat démocratique n’est pas possible, puisque nous ne pouvons pas organiser de larges manifestations en raison de la crise sanitaire. Les autorités le savent, nous avons le sens des responsabilités et nous n’irons pas à l’encontre des règles, en manifestant massivement…"
Changement de stratégie du côté des opposants qui sont à la peine pour mobiliser en cette fin juillet. Lundi, ils ont organisé un rassemblement d’une cinquantaine de personnes devant l’Assemblée nationale où l’on pouvait voir des pancartes "Nous sommes les oubliés".
"Des arguments anti-PMA fallacieux"
Quand il disait "cette France-là a été humiliée, Emmanuel Macron nous avait donné un signal plutôt positif, poursuit la présidente de La Manif pour tous. Mais il est machiavélique, il n’écoute pas. Alors qu’il veut donner une orientation écolo à son quinquennat, il fait l’inverse avec cette loi qui n’est pas du tout écolo, mais pour lui, elle a un intérêt politicien. Il s’est déclaré progressiste, mais on est dans l’obscurantisme."
Pour Coralie Dubost, députée LREM et corapporteure du projet de loi, " ce texte devait être voté depuis longtemps. Nous avons déjà pris du retard. Initialement, la deuxième lecture devait avoir lieu au mois de février. Mais avec le confinement, le processus a été retardé. C'est une deuxième lecture, il n’y a donc pas de débat, nous sommes là pour affiner le texte." "Les arguments des anti-PMA sont fallacieux, insiste la députée, peu importe le calendrier, la loi ne leur convient pas. Leurs arguments sont erronés." "[Trois ans pour voter une loi,] ce n’est pas trop rapide" estime-t-elle. "Il faut avancer. À la rentrée, il y aura d’autres priorités."
Mais au-delà de ce calendrier, la question du signal envoyé à l’électorat d’Emmanuel Macron se pose également. Accusé d’être déconnecté des préoccupations des Français, le Président pourrait le payer au prix fort dans les sondages, si jamais la rentrée était catastrophique sur le plan économique.
Emmanuel Macron pourrait le "payer au prix fort"
Chloé Morin, experte de la Fondation Jean-Jaurès, estime, dans Le Figaro qu'Emmanuel Macron doit jongler avec les deux bords de sa majorité. Et cette mesure pourrait permettre "de calmer quelque peu une majorité dont l’aile gauche goûte assez peu au casting gouvernemental". Et à la rentrée, le gouvernement aura d'autres priorités, analyse Chloé Morin : "Si les plans sociaux se succèdent tout l’été, le procès en inaction risque fort d’être violent lorsque les Français rentreront de leurs congés estivaux […]. Et si le gouvernement ne paraissait pas entièrement focalisé sur la santé, l’ordre, et l’économie."
Emmanuel Macron semble ainsi appliquer sa stratégie déjà éprouvée du fameux "en même temps". Le président, qui a déjà ravi une partie de l’électorat des Républicains, cherche encore à grappiller toutes les voix possibles sur sa droite, notamment sur les questions de sécurité. Pour ce faire, il met en avant dans sa communication ses réformes économiques libérales, tout en faisant passer à l'Assemblée un texte soutenu par son aile gauche. Un signal à droite, un signal à gauche : lundi après-midi, une mesure dite "de gauche" est arrivée à l’Assemblée pour être votée, tandis que le soir : le président soutenait les effectifs policiers mobilisés la nuit, lors d’un déplacement dans un commissariat parisien.