L'ex-président soudanais Omar el-Béchir a comparu mardi devant la justice à Khartoum aux côtés de 27 autres accusés. Tous risquent la peine de mort pour le coup d'État perpétré en 1989. Faute de place, le procès a été ajourné au 11 août.
L'heure du jugement a sonné au Soudan. Le procès de l'ancien président soudanais Omar el-Béchir s'est ouvert mardi 21 juillet à Khartoum. Le dictateur déchu est jugé pour son coup d'État perpétré en 1989 contre le gouvernement démocratique du Premier ministre Sadeq al-Mahdi. Destitué en 2019, le prisonnier, aujourd'hui âgé de 76 ans, encourt la peine de mort.
La première audience n'a duré qu'une heure car la salle n'a pu accueillir tous les protagonistes. La cour spéciale formée de trois juges a fixé au 11 août la prochaine audience. L'ex-autocrate âgé de 76 ans et 27 autres accusés étaient regroupés dans des cages, ainsi que les anciens vice-présidents Ali Osman Taha et le général Bakri Hassan Saleh. Parmi eux figurent des militaires et des civils.
"Un immense procès"
Des mesures de sécurité exceptionnelles ont été prises pour éviter tout incident. Les familles des accusés, venues en nombre, ont crié à l'arrivé des fourgons cellulaires "Allah Akhbar". Omar el-Béchir, en pantalon et chemise beige, portait un masque et des gants et s'est caché le visage devant les photographes. Il n'a fait aucune déclaration.
"C'est un immense procès qui s'ouvre et il est surprenant de voir que le Soudan se donne une ambition aussi gigantesque avec aussi peu de préparation, estime Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du Soudan. Je doute qu'il y ait eu une instruction suffisante avec de nombreux témoins pour répondre aux nombreuses questions que les Soudanais se posent. Ils ont subi ce régime durant trente ans. Une justice expéditive risque d'engendrer de nombreuses frustrations."
Un procès inédit, historique, hors normes
Ce procès a tout de même le mérite d'être inédit à bien des égards. D'abord parce que jamais dans l'histoire récente du monde arabe, l'auteur d'un putsch réussi n'a été jugé. Ensuite parce qu'Omar el-Béchir sera jugé par une cour spéciale composée de trois juges. Enfin, le procès s'annonce hors normes par l'ampleur de sa défense : pas moins de 191 avocats défendront les accusés.
Dans le box des prévenus, un grand absent à signaler : le cerveau du coup d'État, l'islamiste Hassan al-Tourabi, longtemps mentor de Béchir, mort en 2016. Mais pour Marc Lavergne, il y a de nombreux autres absents. "Omar el-Béchir n'a pas été le décideur du coup d'État. Il s'agissait d'une conspiration collective. Il était d'ailleurs pris pour un imbécile à ses débuts. Une cinquantaine de personnes faisaient tourner son régime. Tous étaient des décideurs. Parmi eux des idéologues, des militaires ou des policiers qui ne semblent pas être inquiétés aujourd'hui. Cela donne le sentiment que l'on bazarde l'histoire sous le tapis."
Ce procès est "un avertissement"
Le procès d'Omar el-Béchir et de 27 co-accusés intervient alors que le gouvernement de transition post-révolutionnaire du Soudan a lancé une série de réformes dans l'espoir de rejoindre pleinement la communauté internationale. Mais d'aucuns s'interrogent sur la temporalité de ce procès. "Le pays connait une situation de grande pauvreté aggravée par la crise sanitaire du Covid-19 et on peut de demander si le gouvernement soudanais n'a pas d'autres priorités à l'heure où il tente de négocier avec les mouvements rebelles des États du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu."
Ce n'est pas l'avis des avocats des parties civiles. Dans un pays qui a connu trois coups d'État depuis son indépendance en 1956 – celui du général Ibrahim Abboud (1959-1964), puis celui mené en ma 1969 par le colonel Gaafar Mohammad Nimeiri, au pouvoir jusqu'en 1985, et enfin le coup d'État d'Omar el-Béchir –, il semble au contraire nécessaire de juger les putchistes pour dissuader les ardeurs d'éventuels frondeurs. "Ce procès sera un avertissement à toute personne qui essaiera de détruire le système constitutionnel et sera jugée pour ce crime. Cela sauvegardera la démocratie soudanaise. Nous espérons ainsi clore l'ère des putschs au Soudan", a plaidé Moaz Hadra, un des avocats à l'origine de la procédure contre le dictateur déchu.
"Un procès politique"
Sans surprise, la défense dénonce pour sa part "un procès politique qui se cache derrière la loi. Ce procès va se dérouler dans un environnement hostile de la part du système judiciaire envers les accusés et nous pourrons le prouver". Parallèlement, le juriste met également en avant le bilan politique d'Omar el-Béchir, qui a signé en 2005 un accord de paix avec les rebelles du Sud cautionné par l'ONU, la Ligue arabe, l'Union européenne et l'Union africaine. Enfin, la défense estime que le procès n'a pas lieu d'être car les faits se sont déroulés il y a plus de 10 ans.
Omar el-Béchir a été évincé du pouvoir en avril 2019 après des mois de manifestations au Soudan, que les forces de sécurité gouvernementales ont réprimées dans la violence, faisant des centaines de morts. Les nvelles autorités ont déclaré qu'elles coopéreraient avec la CPI.
— HRW en français (@hrw_fr) June 10, 2020À l'issue de ce procès, de nombreuses questions risquent de rester en suspens. Quelles sont les responsabilités ? Quel était le degré de sincérité vis-à-vis de l'islamisme ? "Pas sûr que l'on obtienne beaucoup de réponses dans ces conditions", avoue, sceptique, Marc Lavergne. Lors de sa première comparution, Omar el-Béchir n'a d'ailleurs fait aucune déclaration.
Autant de questions que la CPI pourra peut-être à son tour dénouer. Car Béchir n'en aura pas fini avec la justice à l'issue de son procès à Khartoum : le Soudan s'est également engagé à le livrer à la Cour pénale internationale (CPI) pour qu'il soit jugé pour crimes de guerre et génocide dans le cadre du conflit au Darfour en 2003-2004, qui a fait 300 000 morts et des millions de déplacés.