Les Bourses américaines font de la résistance : malgré les mauvaises nouvelles qui s’accumulent sur le front du Covid-19, Wall Street se porte mieux que l’année dernière à la même époque. Comment expliquer cet optimisme ?
Allo, Wall Street ? Ici la Terre ! Alors que l’Organisation mondiale de la santé a averti que le Covid-19 pourrait ne jamais disparaître, que les rangs des chômeurs grossissent à une vitesse inédite aux États-Unis et que les économistes craignent l'avènement d’une récession sans précédent, la Bourse américaine semble se porter comme un charme.
L’indice S&P 500, qui regroupe les 500 plus grandes sociétés cotées en Bourse à New York, est en hausse de 26 % par rapport à son plus bas niveau du 23 mars, et il était, mercredi 13 mai, 4 % au-dessus de son cours d’il y a un an, alors qu’aucune pandémie obscurcissait l’horizon économique.
Précédents historiques
La Bourse n’a, même, jamais été aussi chère depuis l’an 2000. Le prix des actions comparé aux résultats financiers des entreprises est, en effet, comparable à celui de l’époque de la folle valorisation boursière de la bulle Internet.
Forbes parle d’un “miracle sur Wall Street” (en référence au film de 1947 “Miracle sur le 34e rue”), tandis que le New York Times implore ses lecteurs à répéter encore et encore que “Wall Street n’est pas l’économie réelle”.
Si cette apparente euphorie boursière donne l’impression que les investisseurs sont déconnectés de la réalité sanitaire et économique, un tel phénomène n’est pas sans précédent historique. “Durant d’autres grandes crises, comme en 1929, en 1973 et aussi en 2008, il y a toujours eu des phases de forts rebonds pendant des périodes de baisses importantes”, rappelle Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement pour la banque de gestion d’actifs Pictet AM, contacté par France 24. À chaque fois, les acteurs financiers, après la panique initiale, ont redressé la tête, avant de retomber dans la déprime jusqu’à la sortie de crise.
L’optimisme actuel des investisseurs ne serait alors que passager ? Pas si sûr. D’abord, ils ont été rassurés par les promesses d’injection de liquidités sans précédent des banques centrales. “Les marchés financiers ont remonté à cause des actions massives, très rapides et coordonnées des banques centrales et des États. Il ne leur a fallu que quelques semaines pour se mettre d’accord, alors qu’en 2008, cela avait pris des mois”, souligne Frédéric Rollin. Cette ouverture du robinet à financement permet d’espérer qu’une partie des entreprises en difficulté pourront échapper à la faillite grâce à la politique généreuse et peu onéreuse de prêts.
Reprise en V
Ensuite, il faut bien continuer à faire tourner l’argent. “S’ils n’investissent pas dans les actions, vers quoi vont se tourner les gestionnaires d’actifs ? L’alternative serait de placer les fonds dans des obligations, qui ont actuellement un rendement proche de zéro et restent, donc, moins attractifs”, note le conseiller de Pictet AM.
Mais, surtout, les acteurs financiers semblent s’être convaincus que cette crise relève plus de l’accident de parcours que d’une lame de fonds menaçant de saper les fondements du système économique. Ils la perçoivent “comme une catastrophe naturelle qui a frappé le monde alors que l’économie était encore en relative bonne santé, ce qui n’a rien à voir avec la crise financière de 2008, par exemple, qui a vu tout le système bancaire plier sous le poids de l’accumulation des créances douteuses”, souligne Frédéric Rollin. Cette croyance en un retour prochain à la normale se traduit par l’adhésion, dans les milieux financiers, à l’idée qu’un scénario de reprise en “V” est possible — c’est-à-dire que la profonde récession actuelle sera contrebalancée par un retour rapide d’une croissance robuste.
Cette conviction que le marasme économique actuel ne serait qu’une parenthèse malheureuse est bien moins populaire hors des cercles financiers. Entre les politiques qui, tel le président français Emmanuel Macron, assurent que le système économique de demain ne pourra plus ressembler à celui d’hier, et les économistes qui misent sur des trajectoires de reprise beaucoup plus hésitantes, l’humeur est plus morose.
Un scénario idéal fragile
Frédéric Rollin trouve, pour sa part, que si “la réaction des marchés financiers n’est pas absurde, les investisseurs sont peut-être un peu trop confiants dans un scénario qui possède beaucoup d’aléas”. Impossible de prévoir, par exemple, à quel point les consommateurs vont se montrer prudents dans leurs dépenses, une fois la crise passée.
“Les acteurs du marché parient aussi qu’il n’y aura pas de deuxième vague de confinement”, souligne l’analyste. Pourtant, les nouveaux cas de Covid-19 recensés en Chine ces derniers jours et la hausse du nombre de personnes contaminées en Allemagne, qui commence tout juste à déconfiner son économie, prouvent que l’épidémie peut toujours reprendre du poil du virus.
Enfin, Wall Street “n’intègre peut-être pas suffisamment le risque politique”, reconnaît Frédéric Rollin. Avec l’élection présidentielle qui se rapproche aux États-Unis, il craint que les républicains jouent à fond la carte anti-chinoise, tandis que les démocrates ne pourront pas se permettre d’apparaître trop conciliants avec un pays dont l’image s’est beaucoup dégradée à l’occasion de cette crise sanitaire. Le risque est, donc, que le conflit commercial sino-américain connaisse une seconde jeunesse, empêchant l’économie mondiale de repartir sur des bases solides
Pour l’instant, les marchés financiers ont choisi d’ignorer tous ces grains de sable qui pourraient enrayer la belle mécanique de leur scénario de reprise idéale. Mais l’histoire a prouvé qu’un plan se déroulait rarement sans accroc, auquel cas, prévient Frédéric Rollin, il y aura “une rechute”. Reste à savoir à quel point elle sera sévère.