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Ingérence russe à Madagascar : le Pulitzer pour Gaëlle Borgia, correspondante de France 24

La correspondante de France 24 à Madagascar, Gaëlle Borgia, a reçu le prix Pulitzer, lundi, pour son travail publié dans le New York Times sur l’ingérence russe lors de la présidentielle malgache de 2018.

"Participer à une enquête de ce niveau-là pour le New York Times était déjà une consécration pour moi, alors le prix Pulitzer… Ça me paraissait tellement inatteignable que ça n’avait jamais été dans mon radar." Gaëlle Borgia n’en revient toujours pas. Cette journaliste franco-malgache installée à Madagascar depuis 2011, où elle est notamment la correspondante de France 24, fait partie de l’équipe du New York Times ayant reçu, lundi 4 mai, le prix Pulitzer pour ses enquêtes sur certaines opérations extérieures de la Russie de Vladimir Poutine.

Le quotidien américain a publié en 2019 une série de six articles sur les opérations secrètes de la Russie à l’étranger, dont une enquête coécrite par Michael Schwirtz et Gaëlle Borgia sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle malgache en 2018.

D’abord contactée pour aider Michael Schwitz dans ses investigations, le travail de Gaëlle Borgia s’est révélé décisif pour obtenir des témoignages clés, dont celui de l’ancien président Hery Rajaonarimampianina, alors candidat à sa réélection, seulement quelques semaines avant le scrutin. Un apport jugé "extraordinaire" par le chef du service international du New York Times, Michael Slackman, lundi soir, lors de la cérémonie de remise du prix, et qui a valu à Gaëlle Borgia de voir son nom ajouté à côté de la signature de Michael Schwirtz lors de la publication, le 11 novembre 2019, de l’article intitulé "How Russia Meddles Abroad for Profit: Cash, Trolls and Cult Leader" ("Cash, trolls et pasteur : comment la Russie fait de l’ingérence à l’étranger")

France 24 : Quelle a été votre réaction en apprenant que vous aviez gagné le prix Pulitzer ?

Gaëlle Borgia : D’abord de la sidération car le prix Pulitzer est tellement prestigieux, c’est un peu l’équivalent du prix Nobel pour les journalistes. Ensuite une grande fierté par rapport au travail que j’ai fait dans cette enquête et qui a duré plusieurs mois. Mais ce qui me rend particulièrement heureuse, c’est que le prix récompense un travail d’équipe. C’est le "staff du New York Times" qui est récompensé, sans qu’aucune individualité ne soit mise en avant. Ça rend humble. L’investigation est un travail qui se fait à plusieurs.

I can't believe i'm part of this ! It gives me energy and strength to keep going ????????????https://t.co/4qWUJG0xbY

— Gaelle Borgia (@Galaelle) May 5, 2020

Vous montrez dans votre enquête comment les Russes ont participé activement à l’élection présidentielle malgache de 2018 sans réellement se cacher…

Oui, c’était vraiment un travail de terrain pour eux et pas seulement de l’ingérence sur les réseaux sociaux. Toute une équipe est venue habiter à Madagascar pendant plusieurs mois pour approcher des candidats à la présidentielle, dont Hery Rajaonarimampianina, et leur proposer une aide. Il suffisait d’aller à un meeting de campagne pour les voir. Au fil du temps, ils ont rapidement pris de l’importance en étant ceux qui donnaient des ordres aux équipes de campagne. Madagascar est l'un des rares pays où on a pu voir concrètement comment les Russes opéraient avec des sacs remplis de cash, la publication de journaux, la fabrication de produits dérivés, l’organisation de fausses manifestations. Leur ingérence avait toujours été un peu abstraite avant cela, mais à Madagascar c’était plus concret et très visible.

Pour autant, les Russes décident de changer de candidat quand ils se rendent compte que le président sortant ne gagnera pas. Est-ce à dire que leur influence reste limitée malgré leur ingérence ?

C’est vrai qu’ils se sont un peu cassé les dents sur cette présidentielle. Ils sont arrivés avec beaucoup de certitudes sans bien connaître le pays et sans se rendre compte des forces en présence. Ils ont également très vite été dénoncés par les autres candidats et ont très rapidement perdu en crédibilité. Leur objectif était notamment de mettre la main sur une mine de chrome. Ça s’est mal passé puisqu’ils ont aujourd’hui quitté Madagascar. Donc on peut dire qu’ils ont globalement échoué dans leur projet.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour mener votre enquête ?

Le plus difficile, c’était d’avancer à pas de fourmi. On se rapproche d’une source jusqu’à ce qu’elle accepte de nous parler. Puis quand elle finit par accepter, elle ne dit pas tout, tout de suite. C’est un travail de fouille, constant, qui avance de rencontre en rencontre. En creusant, j’ai fini par avoir quelques petits éléments et pour avoir un élément probant, il faut faire parler ses sources pendant plusieurs semaines, les mettre en confiance jusqu’à ce que les langues se délient.

D’autant que la plupart des témoins qui avaient travaillé avec les Russes avaient peur de me parler. J’ai eu beaucoup de mal à entrer en contact avec des gens qui acceptaient de révéler leur nom. Ils me suppliaient de ne pas les citer et me demandaient régulièrement si j’étais certaine que rien ne leur arriverait.