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Le photojournalisme s'affiche dans les rues contre le Covid-19

Le collectif de photojournalistes Dysturb a lancé cette semaine une campagne d’affichage sauvage dans les rues de Paris et New York pour sensibiliser le public à la lutte contre la pandémie. Des images fortes pour un message vital.

Déranger : c’est dans la nature même de Dysturb. Ce collectif de photographes s’est créé en 2014 pour amener le photojournalisme dans la rue et rendre l’information accessible à tous, même à ceux qui n’achètent plus de journaux. "Sans demander l’autorisation à personne", ils ont commencé à afficher leurs photos de reportages sur les murs de Paris, New York ou Londres, forçant les regards à se tourner, entre autres, vers les Révolutions arabes, la guerre en Syrie ou la crise des migrants.

D’une guerre à l’autre, la lutte contre la pandémie de Covid-19 ne pouvait pas leur échapper. Cette semaine, le collectif a donc lancé la campagne "Stay Home, Save Lives" ("Restez à la maison, sauvez des vies") à Paris et New York, une première étape avant d’investir les rues de Seattle, San Francisco ou Nairobi. Il a affiché les photos d’une dizaine de photographes qui ont documenté, un peu partout dans le monde, la crise du Covid-19, dans ses moments les plus terribles comme dans ses lueurs d’espoirs, rendant hommage à ses victimes comme à ses combattants.

Cette fois, l’objectif n’était pas tant de "perturber" que de participer à la prévention collective. Aux côtés des photos, des messages rappellent les gestes barrières, les règles de distanciation physique ou les numéros de téléphone d’urgence. "L’idée n’était pas d’être dans la provocation mais de s’inscrire dans un message de prévention et de sensibilisation", explique à France 24 Pierre Terdjman, photographe et codirecteur de Dysturb. "Le plus important, c’est d’être audible et de profiter de la rue pour faire comprendre aux gens qui ne sont pas chez eux qu’ils devraient être chez eux", insiste-t-il.

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Urban displays in NYC and in Paris

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"Faire l’expérience du monde réel"

Délaissés par les affiches de publicité, les murs parisiens ou new-yorkais ont ainsi vu fleurir les photos de Laurence Geai, Hugo Aymar, Ashley Gilbertson, Nina Berman, Ismail Ferdous, Gaia Squarci, Oscar B. Castillo, Fabio Bucciarelli ou Nichole Sobecki. "Sans les publicités, leurs images ont d’autant plus de visibilité", se réjouit Pierre Terdjman, qui considère la rue "comme le plus grand de tous les réseaux".

"Voir les gens passer devant nos affiches m’a fait sentir que nous appartenions encore au monde réel. L’expérience du monde en ligne, c’est bien, mais c’est important de continuer à être présent dans le monde physique", commente Nina Berman, qui a participé au collage des affiches. Cette photographe américaine, de l’agence Noor, documente la crise sanitaire à New York, ville la plus touchée des États-Unis avec plus de 10 000 morts.

"Je ressens cette pandémie moins comme une menace physique pour mon corps que comme une menace existentielle pour ma ville, et mes photos sont empreintes de cette émotion", explique-t-elle à Pierre Terdjman lors d’un échange live sur Instagram. "Il y a des jours où je suis très paranoïaque, mais en même temps, notre industrie ne peut pas rester à la maison. Les journalistes de presse écrite ou de télé peuvent rester à la maison mais nous, les photojournalistes, on ne peut pas. Et c’est pour ça aussi qu’on peut comprendre comment marche ce virus."

Lutte contre la désinformation

Comprendre, pour mieux faire comprendre. Depuis quelques années, Dysturb a élargi son action en lançant des programmes pédagogiques dans les écoles en Europe et aux États-Unis. Le collectif développe des outils pour lutter contre les "infox" et autres "fake news".

La campagne sur le Covid-19 va dans ce sens. Les photos exposées sont accompagnées de données chiffrées et sourcées sur l’impact de la maladie ou les effets positifs du confinement : "Le confinement réduit de moitié le taux de transmissibilité du virus au sein de la population – source : Imperial College London", peut-on lire par exemple.

"Cette pandémie a prouvé une fois de plus les risques de la désinformation en ligne", explique Pierre Terdjman. "Nous sommes journalistes et notre boulot, c’est aussi de combattre les informations erronées diffusées sur les réseaux sociaux ou à la télé." "Aux États-Unis, certains républicains ont commencé à dire que le Covid-19 était un complot inventé pour faire tomber le président Trump. Mais nous sommes là pour attester que non et que la crise est réelle", ajoute Nina Berman. "Nous sommes là pour laisser des traces."

Et pour que ce travail se poursuive et s'enrichisse, Dysturb lance un appel à projets, en partenariat avec @EverydayAfrica, un réseau de photographes vivant et travaillant en Afrique, et la fondation Catchlight. Plus de regards à venir donc, pour capturer le réel, rétablir les faits et éveiller les consciences.