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Port généralisé de masques : "Il faut tout faire pour éviter une deuxième vague" de Covid-19

Les nouvelles déclarations des autorités sanitaires en faveur d'un port généralisé du masque pour lutter contre l'épidémie de coronavirus ont été bien reçues dans les rues de Paris. Mais la pénurie actuelle rend cette possibilité hautement hypothétique.

Chantal transpire sous son masque, mais il est hors de question de l'enlever, ne serait-ce qu'une minute. La retraitée de 80 ans remonte à petits pas l'avenue des Gobelins sous un soleil printanier, dimanche 5 février, avec son sac de courses à la main.

"Ce masque est une question de vie ou de mort pour moi. J'ai bien compris le message, les personnes âgées comme moi n'auront pas droit aux soins. Cela m'horripile, j'ai l'impression qu'on m'enlève le droit de vivre quelques-uns de mes derniers mois de manière normale !", s'insurge Chantal.

Le masque qu'elle porte contre le coronavirus est le modèle répandu dans le BTP, qui est normalement utilisé pour se protéger des poussières. Son fils, qui travaille dans une entreprise de rénovation, lui en a fourni cinq au début du confinement, il y a maintenant trois semaines. Chantal n'a pas attendu l'annonce de l'Académie de Médecine, qui a estimé vendredi 3 avril, qu'un masque "grand public" devrait être rendu obligatoire pour les sorties pendant et après le confinement.

"J'essaye de faire durer ces masques un maximum de temps. Je les nettoie avec du gel hydroalcoolique quand je rentre chez moi. Celui que je porte aujourd'hui est déjà passé une fois à la machine à laver", explique Chantal. "On est bien obligé. Je viens de passer à la pharmacie où l'on m'a dit que tous les masques étaient réservés aux professions de santé", ajoute la retraitée.

Des stocks très contrôlés

À quelques dizaines de mètres, la pharmacie Or'el voit un flux régulier de clients. Quelques bouteilles de 1 litre de gel hydro-alcoolique trônent sur le comptoir. Elles seront vendues en moins de temps qu'il n'en faut pour faire une interview.

Le responsable de la pharmacie, Emmanuel Taieb, confirme à France 24 que la gestion des stocks de masques est très contrôlée. La vente de tout masque a été interdite début mars et un système de dotation a été mis en place.

Les pharmaciens reçoivent chaque semaine des stocks non payés de masque qu'ils doivent ensuite redistribuer, également gratuitement, aux professionnels de la santé recensés dans une circulaire administrative. Ces derniers s'identifient avec leurs cartes professionnelles et le pharmacien doit ensuite les inscrire dans un registre de traçabilité.

"C'est très dur pour nous de ne pas pouvoir donner des masques à des patients qui en auraient besoin (...) Mais le système a montré ses limites, dans plusieurs domaines, et pas seulement pour les masques", explique Emmanuel Taieb.

Le pharmacien appelle devant nous l'un de ses fournisseurs et met son téléphone en haut-parleur. Un message enregistré retentit annonçant l'impossibilité de prendre des commandes pour des masques, gels hydro-alcoolique, de gants et de thermomètres.

"Je comprends pas du tout cette gestion de crise", réagit aussitôt un client, George Diet. "On est la cinquième puissance mondiale et on n'arrive pas à faire face à une épidémie compliquée, mais qui n'est pas non plus aussi grave qu'Ebola", ajoute l'enseignant, qui porte un masque en tissu fait par sa fille.

Des autorités réduites à gérer la pénurie

La discussion rebondit sur les histoires de masques détournés sur les marchés internationaux. "Les États-Unis piquent des masques à la France, les Tchèques détournent des masques destinés aux Italiens, et la France réquisitionne des masques appartenant aux Suédois... Tout ça est scandaleux, il faut monter des usines de fabrication de masques ici", ajoute George Diet.

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a déclaré samedi 4 avril que la France avait commandé près de deux milliards de masques en Chine, tout en reconnaissant que les livraisons n'étaient pas garanties du fait de la ruée mondiale vers les masques. Le numéro deux du ministère de la Santé, Jérôme Salomon, a quant à lui préconisé le port de "masques alternatifs" pour le grand public. Une véritable volte-face pour les autorités, qui ont martelé pendant des semaines que les masques n'étaient utiles que pour les soignants et les malades.

Pour le pharmacien, ces cafouillages dans la communication du gouvernement entraînent des difficultés supplémentaires, avec un afflux de clients demandant des masques auxquels ils n'ont actuellement pas le droit.

"Quand le président Macron suggère qu'il y aura assez de masques pour tout le monde, et qu'en même temps le gouvernement nous envoie une circulaire demandant de gérer la pénurie, soit ils mentent, soit ils sont incompétents", affirme Emmanuel Taieb.

En attendant un hypothétique approvisionnement général en masques, de plus en plus de Parisiens semblent opter pour les protections "fait maison". De la simple écharpe relevée sur le nez et la bouche, au masque de tissu élaboré, confectionné avec les moyens du bord.

Éviter une seconde vague de contaminations

C'est pour cette dernière option qu'a penché Rebecca, une juriste d'origine américaine. Un tissu avec des motifs floraux couvre la moitié de son visage tandis qu'elle promène son chien dans l'avenue des Gobelins.

"Je n'avais pas de masque et j'ai pas cherché à en acheter car il faut vraiment les laisser aux soignants et aux professionnels, comme les livreurs, qui en ont besoin. J'ai donc juste récupéré des bouts de tissus un peu épais pour faire mon propre masque", explique Rebecca.

Un peu plus loin, des dizaines de Parisiens affluent dans la rue Mouffetard, où plusieurs commerces (boulangerie, poissonnerie, fromagerie, cavistes, fruits et légumes, etc.) sont restés ouverts. La plupart des gens respectent les règles de distanciation sociale, mais seul un gros tiers porte un masque. L'idée de généraliser le port du masque à la sortie du confinement reste néanmoins populaire, même chez ceux qui n'ont pas de masques.

"Je n'ai pas de masque aujourd'hui parce que je n'ai pas réussi à m'en procurer", explique ainsi Jean-Marc Bienaymé, un employé de 43 ans dans le domaine des télécoms.

"La vérité froide est qu'il n'y avait pas assez de masques, même pour les soignants. Mais nous dire que porter un masque n'avait aucun d'effet sur la propagation de la maladie... C'est une rupture de confiance", affirme Jean-Marc Bienaymé.

"Et même si porter des masques n'est pas une garantie de ne pas attraper le coronavirus, il faut tout faire pour limiter une deuxième vague de contamination."