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Seuls et fragiles face au coronavirus (3/3) : Ne pas "laisser glisser" les personnes âgées

Face à la pandémie de coronavirus, les travailleurs sociaux continuent d'accompagner les populations fragiles, dont ils ont la charge. Comme Nicolas Bresse, responsable d'une structure d'accueil de personnes âgés dans le Cher (France) qui s'inquiète à la fois de la propagation du Covid-19, mais aussi des effets de l'isolement sur les résidents.

"Aujourd'hui, on doit prendre des décisions. On ne sait pas si elles seront bonnes ou mauvaises", résume Nicolas Bresse. Face à la pandémie de coronavirus, ce responsable d'une maison d'accueil pour personnes âgées  du Cher s'inquiète des conséquences de la pandémie de Covid-19 pour ses résidents. Ses équipes et lui doivent affronter un double problème : empêcher la propagation du coronavirus dans la résidence, mais également éviter que le confinement n'entraîne une perte d'autonomie pour les personnes âgées.

Joint par France 24, Nicolas Bresse estime que l'épidémie a pu être à peu près anticipée par sa structure :

"Durant la première phase de l'épidémie, on a réussi à faire des stocks en travaillant avec des pharmacies locales. On était donc correctement équipés en gel hydroalcoolique et on avait suffisamment de masques. Désormais, on a des dotations de l'ARS [Agence régionale de santé]", explique-t-il, fier du fonctionnement de sa structure, une Marpa [Maison d'accueil et de résidence pour personnes âgées] et de son équipe.

Les Marpa accueillent des personnes qui sont en capacité d'autonomie. Elles constituent un réseau de 200 structures en France. Celle du Val d'Arnon, dans le Cher (centre de la France) accueille ainsi 21 résidents qui disposent chacun de leur logement individuel, mais qui profitent de services tels que l'accompagnement, la lessive ainsi que les repas pris en collectivité.

Une petite structure qui a permis de répondre à l'épidémie 

Contrairement à un Ehpad [Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes], "nous ne sommes pas du tout une structure médicalisée. On n'a pas de soignants sur place. Nos résidents sont encore autonomes, mais ils ont besoin d'être en collectif pour se sentir sécurisé et rompre la solitude", détaille Nicolas Bresse. "C'est aussi une prise en charge favorisant le bien vieillir. Les cabinets d'infirmières libérales et les aides à domicile interviennent pour l'ensemble des soins à la personne."

Le responsable estime qu'être une "petite structure" a permis de mieux réagir à l'arrivée du coronavirus. Il a pu ainsi prendre les mesures qui s'imposaient sans bouleverser les petites habitudes des résidents malgré le confinement :

"Habituellement, on est six personnes à travailler en permanence ici. On s'occupe désormais nous-même d'une grande partie du ménage et du linge, afin d'éviter les allées et venues. On a limité les échanges avec les familles et la venue de professionnels. Le personnel qui vient de l'extérieur est équipé au mieux. On avait bien anticipé et on tend désormais vers le vase clos", liste-t-il.

"Notre rôle, c'est de rassurer. Et beaucoup ont pris la mesure de la dangerosité de ce virus pour eux", explique-t-il. "Le coronavirus a un peu changé la dynamique du lieu. En l'absence de visites des familles, les résidents ont moins d'espace personnel. Ils se tournent davantage vers les autres résidents pour compenser."

Des lettres pour rompre l'isolement

L'un des objectifs des Marpa est de permettre aux personnes âgées de conserver une place dans la société. Habituellement, cela passe par l'organisation d'animations par des intervenants extérieurs ou des visites d'élèves de l'école primaire. Le coronavirus ayant rompu cela, la Marpa du Val d'Arnon a contourné le problème grâces aux courriers :

"Une personne nous avait envoyé une carte en nous disant qu'elle pensait à nous en cette période compliquée. On ne la connaissait pas. L'idée était sympa. J'ai mis ça sur mon compte Facebook personnel. Le post a été partagé, tant et si bien que d'autres lettres ont commencé à affluer", raconte Nicolas Bresse, sourire aux lèvres.

Comme vous le savez je taf avec des papi et mamie que l'on confine et qui risquent de dépérir d isolement. . . Aujourd...

Publiée par Nicolas Bresse sur Mercredi 18 mars 2020

"On a reçu une vingtaine de lettres. Quelqu'un s'occupe de leur réception, elles sont ensuite affichées pour tout le monde. Ça rompt l'isolement", analyse-t-il. "L'idée est d'occuper l'esprit des personnes âgées pour éviter que l'anxiété ne naisse."

Nicolas Bresse espère également pouvoir aider ses résidents à rester en contact avec leur famille en les aidant à se servir de webcam et de smartphones pour des appels en visioconférence. Il note également que la crise a cimenté les solidarités locales. Les familles et les acteurs locaux proposent une aide bénévole face à cette situation. Un exemple : le pépiniériste a fleuri l'ensemble des abords du bâtiment pour égayer le quotidien de la structure.

L'isolement en chambre seule, une fausse bonne-idée

Une annonce du ministère de la Santé a cependant mis un coup au moral de cet incurable "optimiste", comme il se définit lui-même. Olivier Véran, a demandé le 28 mars aux établissements de type Ehpad d'aller vers un isolement individuel pour chacun de leurs pensionnaires afin d'aller plus loin dans la protection des personnes âgées contre le coronavirus.

Pour Nicolas Bresse, cette solution sanitaire évidente présente aussi des risques pour le long terme : "On est certes face à une crise sanitaire, mais on risque d'avoir une crise traumatique une fois passée cela. Ils auront survécu mais auront perdu leur autonomie. On aura dégradé nos vieux. S'ils se laissent aller, ils vont régresser. De là, ce sera impossible de retrouver les mécanismes d'antan", explique le travailleur social. "Quelqu'un qu'on ne fait pas marcher tous les jours, il ne se remettra pas à marcher dans deux mois s'il a passé tout ce temps sans marcher. Quelqu'un en dégénération cognitive, si on ne continue pas à lui offrir des échanges, des liens, un rythme, il va être déphasé et se laisser glisser", explique le responsable. "Et se laisser glisser, chez une personnage âgée, c'est la mort, pas autre chose", avertit-il.

"C'est ce qui rend cette crise si compliquée pour les travailleurs. Tout l'objectif en temps normal est de se projeter pour garder un cap. Là, on n'est plus en mode projet, on est en mode quotidien et c'est ce qui y a de pire pour nos résidents, pour nous, pour tout le monde", soupire-t-il alors que sa Marpa a finalement dû se résoudre à un confinement en chambre.

Une équipe qui permet de tenir le choc

Heureusement, pour aider ses résidents à passer cette épreuve, Nicolas Bresse peut compter sur son équipe.

"Il faut saluer le travail des équipes. Il y a une énorme charge de travail et ils sont mobilisés. Dans ce genre de situation, les équipes se ressoudent et on avance tous ensemble pour le bien-être des résidents", loue-t-il. "Sur le long terme, il sera compliqué d'échapper à l'usure. Mais pour le moment, nous avançons par étape."

Car chasser l'optimisme de Nicolas Bresse, il revient au grand galop : "Tout est chamboulé, mais nous allons y arriver ! Nous devons rester mobilisés, positifs et investis pour nous réinventer", s'exclame-t-il en guise de conclusion, déjà ragaillardi.