
Grand gagnant du "Super Tuesday", Joe Biden revient dans la course à l'investiture démocrate et installe un duel face à Bernie Sanders qui pourrait durer jusqu'à la convention de Milwaukee, mi-juillet. Ces deux candidats illustrent l'opposition idéologique qui divise le parti démocrate.
L'establishment démocrate peut souffler : le spectre d'une victoire de Bernie Sanders à la primaire démocrate s'est nettement éloigné, mercredi 4 mars, au lendemain de l'important succès de Joe Biden lors du "Super Tuesday".
En grande difficulté il y a encore une dizaine de jours, la candidature de l'ancien vice-président de Barack Obama a désormais le vent en poupe. Le retrait et le soutien de ses anciens adversaires Pete Buttigieg et Amy Klobuchar a permis d'unir les forces de l'aile modérée du parti démocrate. Pour celle-ci, Joe Biden est l'unique candidat capable de battre Donald Trump lors de l'élection présidentielle en novembre. Il y avait donc urgence à faire barrage à Bernie Sanders et ses propositions plus radicales. Et avec les contre-performances de Michael Bloomberg – qui s'est retiré mercredi de la course – et Elizabeth Warren, le face-à-face entre deux propositions idéologiques opposées est bel et bien installé.
"D'un côté, Joe Biden incarne un social-libéralisme qui domine le parti démocrate depuis Bill Clinton et qui est fait de compromis avec le capitalisme libéral, de régulation faible et de gradualisme dans l'exercice du pouvoir – on ne promet pas trop et on essaie de réformer lentement la société de manière progressiste, analyse l'historien et spécialiste des États-Unis, Corentin Sellin, sur France 24. Et face à ça, on a Bernie Sanders qui a rassemblé toutes les traditions de gauche états-uniennes – la gauche rooseveltienne et la gauche populiste – et qui promeut au contraire un modèle de transformation radicale."
La fracture idéologique au sein du parti démocrate est nette. Les résultats des primaires jusqu'ici le montrent très clairement : Joe Biden peut compter sur l'électorat afro-américain, les personnes âgées et les classes moyennes, quand Bernie Sanders peut se targuer du soutien des électeurs hispaniques et des jeunes. L'un représente l'électorat historique du parti démocrate ; l'autre les nouvelles générations d'électeurs de gauche.
Tout le défi désormais pour les démocrates pour le reste de la #primaire: se disputer, sur un clivage idéologique qui n'a jamais été aussi limpide entre social-libéralisme de #Biden et socialisme démocratique de #Sanders mais sans se déchirer de façon irrémédiable avant #Trump. https://t.co/kJWGtuRK17
— Corentin Sellin (@CorentinSellin) March 4, 2020Vers un duel qui se prolonge jusqu'à la convention démocrate
"Les propositions de Bernie Sanders, comme la couverture santé gratuite pour tous ou l'éducation gratuite, ont tendance à faire peur aux plus anciens qui sont attachés aux libertés individuelles et qui préfèrent des changements progressifs plutôt que radicaux, explique Jean-Éric Branaa, enseignant-chercheur à l'université Paris-2 et spécialiste des États-Unis, contacté par France 24. En revanche, les hispaniques ont moins cette culture et les jeunes sont plus idéalistes et donc plus prompts à vouloir combattre les inégalités."
Entre la continuité de l'idéologie démocrate proposée par Joe Biden et le changement de cap radical promis par Bernie Sanders, une tendance s'imposera-t-elle rapidement ? Les conditions semblent au contraire réunies pour que le duel se prolonge jusqu'à la convention démocrate, mi-juillet, à Milwaukee.

Après le "Super Tuesday", Joe Biden, bien qu'en tête, ne dispose que d'environ 450 délégués, contre 380 à Bernie Sanders, selon les médias américains. Or, il en faut 1 991 pour s'assurer l'investiture : le chemin est encore long.
"Le scénario d'un face-à-face qui se prolonge prend de la force aujourd'hui, puisqu'on va avoir deux candidats au coude-à-coude qui auront chacun du mal à arriver au chiffre magique de majorité absolue des délégués en juin", confirme Corentin Sellin.
Apparaître comme le candidat le plus à même de battre Trump
Mais au-delà du programme des deux favoris parmi les démocrates toujours en course pour l'investiture, l'enjeu principal sera d'apparaître comme le candidat ayant le plus de chances de battre Donald Trump en novembre.
Les victoires inattendues de Joe Biden dans le Massachusetts et le Minnesota notamment, où les sondages réalisés la semaine dernière donnaient Bernie Sanders vainqueur, montrent qu'un certain nombre d'électeurs ont été convaincus par la dynamique de ralliement en cours chez les sociaux-libéraux.
"Le récit du clan Biden a été extraordinaire lors des 48 dernières heures, estime Jean-Éric Branaa. L'idée de la réunion de famille alimentée par les soutiens de Pete Buttigieg, Amy Klobuchar et Beto O'Rourke est très enthousiasmante pour les électeurs démocrates."
Face à cette dynamique qui devrait être encore renforcée par le retrait et le soutien, notamment financier, apporté par Michael Bloomberg, Bernie Sanders tentera, lui, de convaincre que le parti démocrate ne pourra pas battre Donald Trump avec des demi-mesures et un candidat ayant un profil modéré similaire à celui d'Hillary Clinton, vaincue en 2016.
"Bernie Sanders estime qu'il faut changer de programme et parler à d'autres électeurs : il veut en particulier reconquérir les électeurs blancs populaires des États industriels qui ont basculé pour Trump il y a quatre ans", souligne Corentin Sellin.
Dans cette optique, le scrutin du 10 mars dans le Michigan servira de test. Cet État ouvrier, fief de l'industrie automobile américaine et faisant partie des fameux "swing States" lors de l'élection présidentielle, avait voté en faveur de l'actuel président des États-Unis en 2016. Autant dire que la crédibilité de Bernie Sanders serait grandement affectée si Joe Biden devait finalement l'emporter la semaine prochaine dans cet État-clé.