
Sept entreprises françaises ont été épinglées, jeudi, par le gouvernement pour "présomption de discrimination à l'embauche". Pour le sociologue Jean-François Amadieu, président de l’Observatoire des discriminations, le CV anonyme est une piste à suivre pour lutter contre cette pratique.
Leurs noms ont été cités, selon la pratique anglosaxonne du "name and shame" - "nommer et blamer". Le gouvernement a épinglé, jeudi 6 février, sept entreprises françaises - Air France, Accor, Altran, Arkéma, Renault, Rexel et Sopra Steria - pour "présomption de discrimination à l'embauche" à la faveur d'une campagne de "testing"de grande ampleur qu'il avait commanditée. Et même si ces dernières contestent les résultats et récusent la méthodologie employée, le principal enseignement est sans appel. "Sur l'ensemble des entreprises testées, il est estimé que le taux de succès du candidat dont le nom a une consonance maghrébine est de 9,3 % contre 12,5 % pour le candidat avec un nom à consonance européenne", indiquent les ministères du Travail, du Logement et le secrétariat aux Droit des femmes qui ont présenté ces résultats. Cela représente "25 % en moins de chances" d'avoir une réponse - de bonne réception ou donnant une information.
Selon le sociologue Jean-François Amadieu, président de l’Observatoire des discriminations, les entreprises de très grande taille pourraient mettre en place l’anonymat des candidatures sans difficulté.
France 24 : Comment la discrimination à l’embauche liée aux origines évolue-t-elle en France ?
Jean-François Amadieu : Les résultats de ce testing ne me surprennent pas. Dans le monde de l’entreprise, la discrimination liée aux origines est du même ordre : un candidat d’une minorité visible a en moyenne 20 à 25 % de chances en moins d’être retenu. Ces dernières années, ce chiffre est resté stable, c’est également celui observé aux États-Unis. En revanche, on ne sait pas ce qu’il en est pour des plus petites entreprises car les tests sont réalisés auprès des grandes firmes. Il serait intéressant de mesurer la discrimination dans les plus petites structures - elle y est probablement plus importante encore.
La discrimination est également liée au secteur d’activité. Dans celui de l’hôtellerie-restauration, comme dans les secteurs qui impliquent un important contact avec la clientèle, elle est plus importante qu’ailleurs. Le groupe Accor a encore été épinglé, et cela n’a rien d’étonnant. Avec la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, dissoute en 2001, NDLR), nous l'avions déjà repéré en 2008. En 2017, le groupe a de nouveau été cité par la ministre du Travail de l'époque Myriam El Khomry. Il faut également rappeler que les discriminations peuvent être multiples : 25 motifs de discrimination sont retenus en France. Et les deux premiers motifs de discrimination sont l’âge et l’apparence physique, devant celle liée aux origines. Ces motifs n’ont pas été testés par le gouvernement, c’est regrettable.
Comment lutter contre ces discriminations ?
Une mesure efficace serait une loi sur l’anonymat des candidatures. Cette option avait finalement été rejetée par le législateur en 2015. C’est pourtant la solution à adopter : rendre le CV anonyme en supprimant les informations telles que l’âge, le sexe, l’adresse. Dans d’autres pays européens, cette mesure a prouvé son efficacité, par exemple en Allemagne, en Suède, ou encore aux Pays Bas. Dans beaucoup de grandes entreprises britanniques, dont la BBC, cette pratique existe.
Soit on veut plein d’informations, avec un CV à la française, soit on estime que l’employeur n’a pas besoin de disposer de toutes ces informations sur un candidat. Aux États-Unis, au Canada, on ne fait pas figurer sa photo sur un CV… L’employeur a-t-il besoin de savoir si vous êtes en surpoids, de connaître votre adresse ou votre orientation sexuelle ? Ces informations n’ont absolument rien à voir avec les compétences.
Par ailleurs, les entreprises de très grande taille ont toutes des logiciels de traitement des candidatures en ligne, donc elles pourraient mettre en place l’anonymat des candidatures sans difficulté.
Certaines entreprises dénoncent les "faiblesses de la méthodologie utilisée qui aboutit à des conclusions erronées"…
La méthodologie de ce testing n’a pas été conçue pour qu’il y ait du "name and shame". Dans ce cas-là, lorsque l’on sait qu’au terme du processus on nommera les entreprises, il faut les impliquer davantage dans l’étude pour que les résultats soient in fine incontestables. Il y a des contestations de leur part et le gouvernement a reconnu des "limites" à cette étude. (Le gouvernement a indiqué jeudi qu'il relancerait "une nouvelle vague de testing avec un cahier des charges prenant en compte les marges de progrès identifiées sur la première étude", NDLR.). Mais cela n’invalide pas le résultat : les discriminations demeurent bel et bien importantes.