La sixième semaine de la grève contre la réforme des retraites s'annonce décisive, avec la reprise des négociations, mardi, et de nouvelles manifestations dès jeudi. Le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Laurent Brun, table sur une augmentation du nombre des grévistes.
La grève dans les transports se poursuit, lundi 6 janvier, alors qu'une semaine décisive s'annonce pour les syndicats et le gouvernement. Les négociations doivent reprendre mardi, tandis que deux manifestations interprofessionnelles sont prévues, jeudi et samedi.
En coulisses, les assemblées générales de salariés grévistes devraient aussi débattre de la poursuite de leur mouvement, dont la longévité grève leurs finances malgré des caisses de grève et des cagnottes en ligne. Entretien avec Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-cheminots.
France 24 : Quel est votre bilan au 33e jour de grève contre la réforme des retraites ?
Laurent Brun : C'est une grève atypique car, normalement, au bout de la troisième semaine, on souffre et on a le moral dans les chaussettes. Mais, là, on attaque la sixième semaine avec moral qui est bon. Évidemment les cheminots souffrent : tous ceux qui ont fait grève pendant six semaines auront une paie à zéro euro au mois de janvier. Mais tout le monde est convaincu de la nécessité et de la justesse de cette bataille. C'est inédit de tenir aussi fortement et d'être toujours dans cet état d'esprit là.
Comment expliquez-vous la baisse du nombre de grévistes constatée durant la période de Noël ?
Certaines personnes, qui sont en CDD pendant les périodes de vacances, ne font pas grève et elles comptent dans les effectifs. D'autres sont en congés ou ont choisi de ne pas faire grève tous les jours pour en minimiser un peu l'impact sur leur vie quotidienne.
L'effritement du taux de grévistes est naturel à la sixième semaine de grève. C'est même extraordinaire d'en être encore à ces taux-là au bout d'autant de temps [6,3 % de grévistes à la SNCF lundi – 36,5 % des conducteurs et 19,1 % des contrôleurs, contre 55,6 % le 5 décembre – 85,7 % des conducteurs et 73,3 % des contrôleurs, NDLR]. D'habitude, on a ces taux-là au bout de trois semaines. C'est un mouvement particulier qui montre sa puissance, avec une très forte mobilisation et un soutien de la population. En face aussi, les forces sont puissantes, avec un État qui est inflexible et un gouvernement complètement sourd aux attentes populaires.
Quelle est, selon vous, la stratégie du gouvernement depuis le début de ce conflit social ?
L'État est géré comme une entreprise. Le patron est le seul à décider, et le président fait de même. Il a décidé que la réforme des retraites devait se faire, il l'impose contre l'avis de la population, malgré une mobilisation qui dure et qui est douloureuse pour beaucoup de monde. C'est de l'intransigeance, de l'autoritarisme.
Pour moi, le gouvernement a un comportement irresponsable. Même s'il arrivait à casser le mouvement et à imposer sa réforme, il créerait une tension sociale qui ne s'apaiserait pas. On voit depuis deux ans que les conflits (sociaux) sont de plus en plus longs, durs et étendus, tout simplement parce que quand on ne règle pas les problèmes de fond de la population – la pauvreté, la destruction des services publics dans la santé, l'éducation ou les chemins de fer – les raisons de se mobiliser sont de plus en plus importantes et fortes. Le gouvernement devrait s'interroger là-dessus et ne pas être dans une logique de passage en force systématique.
Comment la CGT-Cheminots, qui demande le retrait du projet depuis le départ, envisage-t-elle la suite de la mobilisation ?
Cette semaine, c'est la rentrée avec le retour de collègues qui étaient en congés et des actions interprofessionnelles à venir [manifestations les 9 et 11 janvier, NDLR]. Les chiffres de grévistes vont donc remonter, et on aura des débats lors des assemblées générales pour savoir comment on continue l'action, sous quelle forme.
Est-ce qu'on continue en grève reconductible, sachant qu'à un moment on atteint une limite, ou est-ce qu'on continue sous d'autres formes ? Ce sera aux grévistes de le dire. On verra aussi comment l'intersyndicale se positionne sur les suites à la fin de cette semaine. On décidera en fonction de tous ces paramètres. Les grévistes sont de toute façon très mécontents de la position du gouvernement et des espèces de compromis qu'on leur propose, ils n'arrêteront pas là.
Qu'attendez-vous de cette semaine possiblement décisive, entre la reprise des négociations avec le gouvernement et deux jours de manifestation à venir ?
On n'attend pas grand-chose des négociations avec le gouvernement, car il a décidé qu'on n'allait parler que du travail des seniors et de la pénibilité. Par contre, on attend de la mobilisation qu'elle continue à grossir.
Après un 5 et un 17 décembre très forts, il faut que le 9 janvier le soit encore plus. Dans ce cas-là, on démontrera que, malgré la parenthèse des vacances, le mouvement est ascendant. Le gouvernement n'aura alors qu'une seule solution pour faire face à cette montée, c'est de retirer son projet. Pour cela, il faut que plus de secteurs de l'économie soient en grève et en manifestation.
Quelle importance la mobilisation de cette semaine revêt-elle pour vous ? Cela mettrait-il en péril la suite du mouvement ?
Si les chiffres du 9 janvier sont à la baisse par rapport au 17 décembre, cela nous posera évidemment question car cela voudra dire qu'on n'a pas gagné cette extension du mouvement à laquelle on a travaillé. Pendant les dernières vacances, on a mené des initiatives quotidiennes pour rencontrer les salariés dans les centres commerciaux, dans les zones touristiques ou sur les marchés.
Mais, pour l'instant, on a d'autres échos : les professeurs sont mobilisés, beaucoup de secteurs dans le privé préparent cette manifestation… Ensuite, on verra bien ce qu'est la réalité de ce qu'on peut organiser.
Quelles autres issues sont envisageables dans ce bras de fer entre syndicats et gouvernement ?
Je ne vois pas bien ce qu'il peut y avoir hormis le retrait du projet de réforme des retraites. On entend par-ci, par-là l'appel à organiser des conférences en juillet [le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger a proposé dimanche d'organiser “une conférence de financement” du système de retraite, NDLR].
En réalité, c'est une injonction à reprendre le travail qui ne répond pas du tout aux attentes des salariés. Ils ont fait 30 jours de grève ou plus et veulent des réponses tout de suite. Ce n'est pas une position de compromis et elle ne règle en rien le problème de fond : le niveau des futures pensions va baisser avec le système par points et dans ce système, on va nous obliger à travailler plus longtemps, qu'il y ait un âge pivot ou pas.