
Sous pression depuis une semaine, Jean-Paul Delevoye a démissionné, lundi, de ses fonctions de haut-commissaire aux Retraites. Mis en cause pour une succession d’omissions dans sa déclaration d’intérêts à la HATVP, sa position n’était plus tenable.
Après de nouvelles révélations durant le week-end sur ses "oublis" dans sa déclaration d’intérêts à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites qui s’annonce massive, le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, a démissionné, lundi 16 décembre.
Nommé par Emmanuel Macron en septembre 2017 pour préparer la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye considère que la "confiance est fragilisée sous les coups d'attaques violentes et d'amalgames mensongers" et qu'à travers son "procès", on "veut porter atteinte au projet" qu'il juge "essentiel pour la France", explique-t-il dans une déclaration transmise à l'AFP.
Pour l'Élysée, "le haut-commissaire a jugé préférable de démissionner afin de pouvoir répondre aux critiques dont il fait l'objet. Nous saluons sa démarche de responsabilité à un moment important de la réforme".
J'ai présenté, ce jour, ma démission au Président de la République et au Premier Ministre. pic.twitter.com/ssIrfWaHAh
— Jean-Paul Delevoye (@delevoye) December 16, 2019Le journal Le Monde a révélé, samedi, que ce ne sont pas trois, mais treize mandats supplémentaires – dont onze bénévoles – que Jean-Paul Delevoye a oublié de déclarer à la HATVP. Le quotidien a également révélé que sa déclaration d’intérêts mise à jour avait revu à la hausse sa rémunération comme conseiller pour IGS, un institut de formation de l’assurance, et comme président d’honneur du think tank Parallaxe, qui fait partie du groupe IGS, et dont la mission est de trouver des solutions à "l’insatisfaction des étudiants concernant le système éducatif actuel".
Ainsi, ce ne sont pas 40 000 euros que Jean-Paul Delevoye a perçu en 2017 comme conseiller de IGS, mais 78 408 euros net. Et son poste de président d’honneur de Parallaxe ne lui a pas rapporté 64 420 euros en 2018 et 2019 mais, en réalité, 73 338 euros en 2018 et 62 216 euros en 2019. Une rémunération qui s'ajoutait donc aux 10 135 euros qu'il touchait au gouvernement en tant que haut-commissaire aux Retraites.
"L’article 23 de la Constitution laisse bien entendre que la fonction de ministre est exclusive"
Pourtant, l’article 23 de la Constitution interdit le cumul d’un poste au gouvernement et d’une activité professionnelle : "Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle".
"Sur le plan des principes, la déclaration d’intérêts que doivent remplir les ministres n’est pas une option, souligne Marc-André Feffer, président de Transparency International France. Et l’article 23 de la Constitution laisse bien entendre que la fonction de ministre est exclusive de toute autre activité professionnelle."
Depuis les révélations du Parisien, de Capital et du Monde, Jean-Paul Delevoye, ses collègues du gouvernement et même le Premier ministre Édouard Philippe plaidaient la "bonne foi" de l’ancien ministre de Jacques Chirac.
"Je pense que la bonne foi de Jean-Paul Delevoye est totale", a notamment répondu le Premier ministre lors d’un échange avec des lecteurs du Parisien qui lui demandaient si le haut-commissaire aux Retraites pouvait rester au gouvernement malgré ses nombreux "oublis".
Dans l’entretien accordé au Monde, samedi 14 décembre, l’ancien haut-commissaire aux retraites affirme qu’il n’avait "rien à cacher" au sujet de sa double rémunération et que personne ne l’avait "prévenu que cela posait problème".
Des excuses peu crédibles
Des arguments balayés par Marc-André Feffer, pour qui "ce n’est pas une excuse possible de dire cela". "Nul n’est censé ignorer la loi, rappelle le président de Transparency International France. Quand une personne arrive au gouvernement, j’imagine que le secrétariat général du gouvernement lui fournit une liste de toutes ses obligations."
La position de Jean-Paul Delevoye était d’autant moins tenable que certaines de ses déclarations passées sur le devoir d’exemplarité des politiques sont ressorties tout au long du week-end sur les réseaux sociaux avec le hashtag #DelevoyeGate.
"Mon angoisse c’est de voir aujourd’hui la remise en cause de la confiance dans la décision publique parce qu’il y a un manque d’éthique et un non-respect à l’éthique", a notamment déclaré, en février 2010 lors d’une audition au Sénat, Jean-Paul Delevoye, alors Médiateur de la République.
"Mon angoisse c'est de voir aujourd'hui la remise en cause de la confiance dans la décision publique parce qu'il y a un manque d'éthique et un non respect à l'éthique"
2 démissions / 2 omissions / non-respect de la Constitution#DelevoyeGate #ReformeRetraite #greve14decembre pic.twitter.com/zsa3AI5TfN
Saisie du dossier le 12 décembre par le procureur de Paris qui lui a demandé des précisions sur le défaut de déclaration d’activité de Jean-Paul Delevoye, la HATVP doit se prononcer mercredi. Il lui revient d'apprécier, à l'issue de ses contrôles et d'un temps d'échanges avec l'intéressé, l'opportunité de saisir ou non la justice sur ses manquements déclaratifs. Dans le cas de Jean-Paul Delevoye, le procureur Rémy Heitz a demandé à la HATVP de lui préciser si les manquements relatés par la presse sont exacts et, le cas échéant, quelle appréciation elle porte sur la gravité de cette omission.
"Je pense que la Haute autorité va saisir le parquet, il y a peu de chance qu'elle ne le fasse pas au regard de l'ampleur des omissions", a estimé sur BFM TV Jean-Christophe Picard, président de l'association Anticor, qui avait saisi la HATVP le 10 décembre. "Je ne vois pas comment il pourrait échapper à une condamnation même symbolique sur le fait qu'il a quand même clairement oublié entre guillemets dix activités. Donc ça ne changera rien pour lui. Il a pris les devants parce qu'il vaut mieux partir avant d'être poursuivi, mis en examen ou condamné."