Après plus de dix jours de blocage, les Iraniens retrouvent progressivement l’accès à Internet. Ils découvrent l’ampleur de la répression des manifestations, ainsi que des pertes économiques considérables liées à cette coupure.
"Je tweete pour la première fois avec mon téléphone portable après onze jours de coupure d'Internet", s'émeut dans un tweet le journaliste iranien Abas Aslani, rédacteur en chef du site d'information Iran Front Page. Comme lui, les 80 millions d'Internautes en Iran n'ont retrouvé l'accès au réseau mondial qu'à partir de mercredi 27 novembre depuis leur téléphone. Seul le wi-fi avait été rétabli le 23 novembre par les autorités iraniennes d'après le site NetBlocks, qui surveille la liberté d'accès à Internet dans le monde.
Toutefois, l'accès à la 4G sur téléphone reste encore partiel, précise Abas Aslani sur Twitter : "L'Internet mobile a été restauré dans la province de Téhéran, à l'exclusion de certaines villes de l'ouest de Téhéran où les manifestations sont devenues plus violentes".
Mobile internet in Tehran province, excluding some towns in western Tehran where protests went more violent, have been restored. This is my 1st tweet using my mobile internet after 11 days of shutdown. Mobile internet have reportedly been restored in some other provinces of #Iran
— Abas Aslani (@AbasAslani) November 27, 2019La 4G revient à Téhéran doucement mais pas pas dans tous les quartiers https://t.co/qlj0LpIWNx
— Mariam Pirzadeh (@mapirzadeh) November 27, 2019Les images des défunts iraniens circulent sur Internet
L'Iran a vécu coupé du monde au lendemain de la sanglante répression des manifestations du 15 novembre, qui selon Amnesty international a fait au moins 140 morts et 7 000 arrestations. Plus de dix jours après les événements, les Iraniens découvrent l'ampleur de la répression à travers les vidéos des violences, les photos des victimes et les témoignages des familles de défunts qui s'échangent sur les réseaux sociaux.
"I am somebody's son and I am putting my life at risk by coming out to protest"
27-year-old #PouyaBakhtiari was peacefully protesting with his mother and sister before Iran's security forces brutally shot him in the head and killed him#IranProtests https://t.co/eEjCthSjM6
Les autorités iraniennes n'ont pour leur part confirmé que la mort de cinq personnes, quatre membres des forces de l'ordre tués par des "émeutiers", et un civil. Téhéran a également annoncé l'arrestation d'environ 500 personnes, dont 180 "meneurs".
Trois milliards de dollars de perte pour l'économie iranienne
La coupure intervenue le 16 novembre a été d'une ampleur inédite, explique Ershad Alijani, journaliste spécialiste de l'Iran au sein de la rédaction des Observateurs de France 24. "Internet a déjà été ralenti ou partiellement coupé au moment de manifestations en Iran, notamment en 2009, mais jamais avec une telle ampleur et à une échelle géographique aussi vaste."
Avec le rétablissement de l'accès au réseau mondial, des voix se sont élevées dans la sphère économique iranienne pour dénoncer ces dix jours de gel des échanges commerciaux dans des secteurs déjà marqués par la crise économique consécutive au rétablissement des sanctions américaines contre l'Iran.
Jeudi, le quotidien réformateur Etemad titrait ainsi sur le "coût de la panne d'Internet", dont la note se chiffre à "3 milliards de dollars" pour les "jeunes entreprises iraniennes", d'après des chiffres officiels. Les entreprises d'import-export, le commerce en ligne, les agences de voyage et les start-up comptent parmi les secteurs les plus touchés.
"Internet, comme l'eau, comme l'air, ne doit pas être déconnecté"
Le mécontentement se fait également sentir au sein du gouvernement iranien pour imaginer une coupure plus concertée et moins brutale. "Internet, comme l'eau, comme l'air, ne doit pas être déconnecté", a tweeté mercredi Amir Nazemy le vice-ministre iranien des Communication. "Pour empêcher la normalisation des pannes d'Internet, nous travaillons sur un projet de loi qui nécessiterait l'approbation du Parlement pour fermer l'Internet ou toute application avec plus d'un million d'utilisateurs iraniens ", a-t-il poursuivi.
Les courants plus conservateurs appellent eux, à améliorer l'efficacité du réseau national d'information. Ce service local, dont la fréquentation a augmenté durant le blocage d'Internet, permet uniquement aux services étatiques, aux sites d'information locaux et aux applications validées par le gouvernement, telles que des services de messageries iraniens, d'être accessibles en Iran.
Si l'Iran, à l'image de la Chine, parvient à développer un réseau national performant, celui-ci servirait aux autorités iraniennes pour poursuivre les échanges commerciaux en temps de manifestations, tout en étouffant les communications des mouvements de contestation.