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En Bolivie, les inconnues de l’après-Morales

En Bolivie, les affrontements entre les forces de l’ordre et les partisans de l’ex-chef d’État Evo Morales, exilé, se multiplient. L’annonce de la tenue d’un nouveau scrutin présidentiel, dont l’enjeu est de redessiner le panorama politique, se fait attendre.

Depuis qu’elle a fait son entrée dans le palais présidentiel, Bible en main, le 12 novembre, la présidente par intérim de la Bolivie, Jeanine Áñez, est violemment contestée dans la rue par les partisans d'Evo Morales. Sous la pression, le premier chef d’État indigène du pays a démissionné le 10 novembre, trois semaines après le scrutin.  
 

Une atmosphère de guerre civile

Composé de membres de la droite dure du pays, le gouvernement provisoire s’appuie sur les forces de police et l’armée. Ces dernières, qui ont été autorisées par décret à participer au maintien de l’ordre, sont de surcroît exonérées de toute responsabilité pénale.

Ainsi, en quelques jours, la violence a explosé dans un pays déjà sous tension depuis le premier tour de l’élection présidentielle du 20 octobre et la démission d’Evo Morales. Selon le "Défenseur du peuple", un organe public chargé de protéger les droits et libertés en Bolivie, on compte désormais au moins 27 morts et plus de 700 blessés.

La CIDH (la Commission Interaméricaine des droits de l’Homme) accuse le gouvernement d’encourager la violence et la répression militaire, et réclame de pouvoir enquêter.
 

Des élections en vue ?

La promesse de la présidente par intérim de convoquer rapidement de nouvelles élections et de nommer une autorité électorale fiable et indépendante crée donc l'impatience. Dans ce contexte, deux options se présentent à Jeanine Áñez.

La première est la voix constitutionnelle, qui implique qu’elle trouve un terrain d’entente avec le MAS (Mouvement vers le socialisme), le parti d’Evo Morales, majoritaire dans les deux chambres du Parlement. Mercredi 20 novembre, celui-ci a présenté un texte proposant l'annulation des élections du 20 octobre et l'organisation d'un nouveau scrutin en janvier.

Si aucun accord n’est conclu entre les deux parties, la présidente menace de convoquer des élections par décret présidentiel, ce que lui recommandent les deux poids lourds de l'opposition : l'ancien président et candidat à la dernière présidentielle Carlos Mesa et le remuant leader du Comité civique de Santa Cruz, Luis Fernando Camacho.

Quelle stratégie pour le MAS ?

Seule l’organisation de nouvelles élections semble être en mesure de ramener un semblant de calme entre un gouvernement intérimaire ultra-conservateur, qui s’est engouffré dans le vide politique crée par la démission d’Evo Morales, et les soutiens de l’ancien président qui dénoncent un coup d’État.

Cependant, Claudia Benavente, directrice du quotidien bolivien La Razon, estime que "le MAS est en crise, sa stratégie n’est pas claire. Il y a sans aucun doute des négociations qui se déroulent à l‘intérieur du mouvement".

Ces derniers jours, le MAS a joué sur plusieurs tableaux. Au Parlement, il accepte le dialogue. Dans la rue, en revanche, il tente des opérations de blocages des grandes villes et s’oppose violemment aux forces de l’ordre. Comme ce fut le cas à Cochabamba (9 morts) et à El Alto (6 morts).

Pour le sociologue Franck Poupeau, interrogé par Le Monde, "le MAS est en train de jouer sa survie (…) le MAS est difficilement éliminable en tant que tel, il ne faut pas oublier que 40 % ou 45 % des Boliviens ont voté pour Evo Morales et qu’aucun scénario politique n’est tenable sans cette composante".

Tenté un temps d’interdire le MAS, le gouvernement a fait machine arrière. "Le gouvernement provisoire est sur le fil du rasoir : une situation de chaos, provoquée par une trop forte répression, précipiterait un retour d’Evo Morales". "C’est une réalité terrible et il faut la prendre en compte : la trentaine de morts proviennent tous des secteurs pauvres et indigènes de la société", ajoute Claudia Benavente.

L’opposition bolivienne en quête de légitimité et d’unité

Depuis son exil mexicain, à coups de tweet, Evo Morales dénonce sans relâche la brutalité de la répression policière et militaire qui vise ses partisans. Pour de nombreux Boliviens, il est urgent de pouvoir organiser des élections reconnues par la communauté internationale afin que l’ex-président ne puisse plus se prévaloir du statut de "victime d’un coup d’État".

L’autre enjeu de l’organisation d’élections en janvier est de rebattre les cartes au sein même de l’opposition. Pour Claudia Benavente, Carlos Mesa, principal challenger d’Evo Morales absent du gouvernement intérimaire, est désormais marginalisé. "Carlos Mesa a recueilli beaucoup de voix le 20 octobre, mais il n’est plus le leader de l’opposition. Il a en face de lui Fernando Camacho qui est un rival très puissant. Il aura du mal à unir l’opposition derrière lui".

Carlos Mesa incarne un ordre ancien et il semble peu à peu dépassé par "un gouvernement qui rassemble plusieurs composantes. Mais il me semble qu’il comprend beaucoup de personnalités de la province de Santa Cruz qui sont hostiles aux Collas (les populations majoritairement indigènes de l’altiplano andin, NDLR) et qui veulent se montrer très durs".

Pour la militante féministe bolivienne Maria Galindo, l’actuel gouvernement, qu’elle qualifie de "fasciste", veut rapidement organiser de nouvelles élections dans le but de "maquiller en démocratie un régime dont la légitimité repose sur l’occupation des villes par la police et l’armée". Et que pour cela, la "participation du MAS est impérative".

La militante dénonce aussi avec férocité la stratégie de Evo Morales et d’Alvaro García Linera “qui ont provoqué un vide du pouvoir et la panique” pour tenter de sauver “un régime clientéliste qui s’est effondré sous le poids de sa décadence”.