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Des Irakiens déterminés à manifester jusqu’à "la chute du régime"

Une frange de la population déterminée face à un pouvoir irakien en sursis. Les manifestations anti-gouvernementales se sont propagées en Irak, où les protestataires, en dépit de la répression, comptent obtenir gain de cause.

Le mouvement de contestation sociale et politique qui secoue l’Irak depuis le 1er octobre se durcit et gagne en ampleur. Alors que la répression des manifestations a provoqué jusqu’ici, selon un bilan officiel, la mort de 239 personnes, en majorité fauchées par des tirs à balles réelles, la mobilisation se poursuit à Bagdad, et dans le sud du pays. Cinq personnes ont été tuées lundi 28 octobre à Bagdad, a annoncé la Commission gouvernementale des droits de l'Homme.

Face à la pression de la rue, l'armée irakienne a décrété, dans la journée, un couvre-feu nocturne dans la capitale, où la place Tahrir de Bagdad, épicentre d’une contestation d’un niveau inédit, est désormais occupée jour et nuit et couverte de tentes.

"La situation chaotique risque d’empirer d’autant plus que les manifestants font face à une violence extrême de la part du pouvoir, même si ce n’est pas la première fois que des mouvements de protestation sont réprimés aussi durement dans ce pays", prévient Zaid al-Ali, ancien conseiller de l’ONU en Irak et auteur de l'essai "La Lutte pour l'avenir de l'Irak" (Yale University Press), interrogé par France 24.

Dans la matinée, malgré les avertissements des autorités, des milliers d'étudiants et d'écoliers ont envahi les rues irakiennes, tandis que le syndicat des enseignants a annoncé "quatre jours de grève générale", à partir de lundi. Dans plusieurs provinces du Sud, où les protestataires s'en sont pris aux institutions et à des permanences de partis politiques et groupes armés, fonctionnaires, syndicats, étudiants et écoliers ont manifesté et entamé des sit-in.

Même la province multiethnique de Diyala, frontalière de l'Iran, a fini par rallié ce mouvement contestataire, apolitique et dépourvu de leader. L’AFP rapporte que deux membres du Conseil provincial ont démissionné et des piquets de grève ont bloqué administrations et universités.

La série de mesures sociales récemment annoncées par le Premier ministre, Adel Abdel Mahdi, arrivé il y a tout juste un an au pouvoir, n’ont nullement satisfait les manifestants. Remobilisés depuis la reprise, jeudi, du mouvement de contestation après une interruption de 18 jours, le temps du plus important pèlerinage chiite, ils même ont promis une escalade "jusqu'à la chute du régime".

"On veut renverser ce gouvernement"

"Nous avons perdu notre pays, nous ne voulons pas de terre, de l’électricité ou de l’eau, on veut être libres et nous voulons renverser ce gouvernement", résume l’un des manifestants interrogés à Bagdad par les correspondants de France 24 en Irak.

"Plus personne en Irak ne croit aux promesses de réformes émises par le pouvoir, il y a déjà eu des annonces similaires dans le passé mais aucune mesure n’a été appliquée, indique Zaid al-Ali. Il faut s’attendre à ce que ce mouvement perdure, pendant plusieurs jours, voire des semaines car seul un bouleversement ou une décision majeure peut calmer la rue, mais rien n’indique que cela est sur le point d’arriver, car la classe politique, qui ne perçoit pas pour l’instant de menace existentielle contre le système qu’elle a mis en place, refuse de réformer".

Dès le premier jour de ce mouvement né spontanément après des appels à manifester sur les réseaux sociaux, les protestataires ont réclamé des emplois et des services publics fonctionnels tout en exprimant leur colère contre la classe dirigeante accusée d’être corrompue.

Selon Transparency International, l’Irak occupe la douzième place du classement des pays les plus corrompus au monde. D’après des chiffres officiels, près de 410 milliards de dollars (372 milliards d'euros) de fonds publics se sont volatilisés en 16 ans, alors qu’un Irakien sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et un jeune sur quatre est au chômage.

Un Premier ministre en sursis ?

Confronté au mécontentement croissant de la population, le Parlement se déchire alors que la fragile majorité parlementaire du Premier ministre semble plus que jamais dans l’impasse. Une cinquantaine de députés fidèles au leader chiite Moqtada Sadr, qui appuyait le gouvernement jusqu’au début de la crise, ont entamé samedi un sit-in en solidarité avec les manifestants, et annoncé rejoindre l'opposition.

"Le peuple irakien est en train d’être tué de sang-froid, ce gouvernement doit démissionner car il n’a pas su répondre à ses demandes les plus simples et n’a pas réussi à appliquer le programme qu’il avait annoncé", explique à France 24 le député Burhan al-Maamoudi, allié au bloc de Moqtada Sadr. Il n'était pas clair si les ministres désignés par Moqtada Sadr, mais qui ne font pas partie de son mouvement, quitteraient le gouvernement.

Le leader chiite, qui a endossé les revendications des manifestants "contre les corrompus", a renouvelé son appel à la démission du gouvernement et la tenue d'élections anticipées "sous supervision de l'ONU". "Il n’a aucune perspective de résolution qui puisse casser la dynamique actuelle en Irak. Les manifestants ont un objectif, mais ils n’ont pas de stratégie à même de provoquer un changement dans le pouvoir, poursuit Zaid al-Ali. Et s’il s’agit juste de remplacer le Premier ministre par un autre personnage issu de la même classe dirigeante, rien ne changera".