Les forces loyalistes et les Houthis ont établi des postes de surveillance communs aux deux camps à Hodeïda, ville stratégique pour l’arrivée de l’aide humanitaire au Yémen. Une décision qui peut être “le signe d’une évolution vers une désescalade”.
L’horizon s’éclaircit au-dessus de Hodeïda, une ville portuaire stratégique pour l’entrée de l’aide humanitaire au Yémen. L’émissaire de l’ONU dans le pays, Martin Griffith, a salué mercredi 23 octobre “la création de quatre postes de surveillance communs” aux forces loyalistes et aux rebelles houthis, ainsi que “le déploiement d’officiers de liaison le long des lignes de front”.
“Ces checkpoints communs représentent la concrétisation du processus de négociation long et semé d’embuches entamé à partir de l’accord de Stockholm du 13 décembre 2018 passé entre les belligérants, un accord qui prévoyait, outre un cessez-le-feu, plusieurs phases de redéploiement des parties en présence”, explique David Rigoulet-Roze, enseignant et chercheur à l’Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L’Harmattan), contacté par France 24.
"La pire crise humanitaire en cours dans le monde"
Hodeïda, aux mains des Houthis depuis le début du conflit au Yémen en juillet 2014, a d’abord fait l’objet d’un cessez-le-feu, fin 2018, avant que les rebelles ne s’en retirent en mai dernier, ainsi que de deux autres ports – celui de Salef et celui de Rass Issa –, conformément à la première phase du processus de Stockholm.
“Ces trois ports sont essentiels d’un point de vue humanitaire”, précise le chercheur de l’IFAS. “Et il se trouve que Hodeïda est le grand port sur la mer Rouge qui constitue la porte d’entrée de quelque 70 % des importations alimentaires et 90 % des médicaments destinés à la population qui en manque cruellement du fait de la guerre".
Le fait que la situation se stabilise dans cette ville portuaire arrive à point nommé dans un pays où sévit “la pire crise humanitaire en cours dans le monde”, comme l’évoque régulièrement l’ONU. Par ailleurs, ce conflit a fait en cinq ans des dizaines de milliers de morts, 3,3 millions de personnes déplacées. Enfin, 24,1 millions de Yéménites – sur une population totale de 28 millions de personnes – ont besoin d'une assistance humanitaire, quand plusieurs millions d’entre elles sont menacées par la famine.
L’idée de désescalade, entre “signe positif” et “choix contraint”
La mise en place de points de contrôle communs aux forces loyalistes et aux rebelles houthis à Hodeïda peut apparaître comme “le signe plutôt positif d’une évolution vers une désescalade au profit de la population civile yéménite”, selon David Rigoulet-Roze. “Cela veut dire que les belligérants se parlent dans le cadre des bons offices du comité de coordination du redéploiement de la MINUAAH – dirigée par le général danois Michael Lollesgaard –, la mission de l’ONU dont le mandat a été renouvelé pour six mois en juillet dernier, soit jusqu’au 15 janvier 2020. On est donc moins dans une posture belliciste même si la confiance entre les parties demeure toute relative – il y a toujours une méfiance sinon une forme de défiance de part et d’autre.”
Mais la perspective d’une fin du conflit en cours depuis plus de cinq ans au Yémen ne semble pas encore à l’ordre du jour. “La guerre engagée depuis fin mars 2015 par la coalition arabo-sunnite emmenée par l’Arabie saoudite constitue une impasse stratégique avérée, et tous les acteurs concernés cherchent un moyen de sortir de cette impasse”, analyse le chercheur de l’IFAS. “Tout le monde aimerait arrêter les frais – dans tous les sens du terme – mais personne n’a encore trouvé la solution idoine pour y parvenir dans la mesure où il s’agit également de sauver les apparences de chacune des parties prenantes.”
Les Houthis se disaient pourtant prêts il y a un mois, le 20 septembre, à faire la paix avec l’Arabie saoudite en “arrêtant toutes les attaques contre (le royaume)”. Cette proposition intervenait quelques jours après l’attaque de deux sites pétroliers stratégiques en Arabie saoudite, et dont les rebelles yéménites ont assumé la responsabilité.
“Les frappes de drones précises sur les infrastructures pétrolières d’Abqaiq et de Khurais le 14 septembre ont été un révélateur de la vulnérabilité intrinsèque de l’Arabie saoudite, et cela a fait réfléchir beaucoup de monde”, explique David Rigoulet-Roze. Les Houthis, qui s’en sont attribués la responsabilité non sans susciter de sérieux doutes, “en ont profité pour se positionner en promoteurs de paix allant jusqu’à se permettre de proposer une offre de cessez-le-feu à Riyad”, poursuit le chercheur, “et du côté de l’Arabie saoudite il y a une prise de conscience (qui s’est accélérée après cette attaque, NDLR) du fait qu’il ne sera pas possible de continuer encore des années cette guerre au Yémen. L’idée de la désescalade se présenterait finalement presque comme un choix contraint.”