Plusieurs villes en Équateur sont le théâtre de violentes manifestations depuis l'annonce, jeudi, d'une hausse du prix du carburant. Il s’agit du plus grand mouvement social depuis 12 ans, dans un pays où la rue a déjà évincé trois présidents.
Comme pour le mouvement des Gilets jaunes en France, la hausse annoncée du prix du carburant a déclenché un vaste mouvement de protestation, inédit depuis 2007, à travers l’Équateur. Depuis jeudi 3 octobre, jusqu’à 291 rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, dont Quito et Guayaquil. Les routes et les transports publics ont été bloqués, des barricades ont été érigées et des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont éclaté.
16:25 hora local, centro norte de #Quito. pic.twitter.com/wwUGX6xVF0
Christian Salas M. (@CSalas_teleSUR) October 4, 2019Depuis la levée de subventions sur le diesel et l’essence, le pays est paralysé par de violentes manifestations. Aux grèves décidées dans un premier temps par le secteur des transporteurs, se sont joints des étudiants et des membres des communautés indigènes.
Le ministère de l’Intérieur a annoncé la détention de quelque 350 personnes et des leaders de la contestation, comme le président de la Fédération nationale des taxis. Malgré l’annonce faite vendredi soir par les transporteurs de la suspension de leur grève, le mouvement doit se poursuivre, notamment à l’appel de la Confédération indigène.
État d’urgence
"Afin d'assurer la sécurité des citoyens et d'éviter le chaos, j'ai décrété l'état d'urgence au niveau national", a déclaré le président Lenin Moreno dès jeudi. Cet état d’exception, applicable pour une durée de 60 jours, permet de limiter ou de suspendre le droit de circulation, de fermer les frontières et d’imposer une censure à la presse.
Il autorise également la mobilisation de l’armée pour rétablir l’ordre : 29 000 militaires ont ainsi été déployés. Le ministère de l’Intérieur a dénombré parmi les blessés 21 policiers et 14 civils.
L’ONU et la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) se sont montrés inquiets “par l’usage excessif de la force mis en évidence par les images de répression des manifestations (…), par la situation de centaines de détenus et par l’agression d’une vingtaine de journalistes“.
La @CIDH expresa preocupación por uso excesivo de la fuerza por la policía en #Ecuador, como evidencian imágenes de represión a las protestas sociales. Seguimos con preocupación situación de centenar de detenidos en todo el pais, por lo menos 19 heridos y 20 periodistas agredidos
CIDH - Comisión Interamericana de Derechos Humanos (@CIDH) October 4, 2019Le ‘paquetazo’
Le prix du gallon de diesel a bondi de 1,03 à 2,29 dollars. Celui de l’essence est passé de 1,85 à 2,39 dollars. Le gouvernement équatorien avait décidé de retirer les subventions dont bénéficiaient les carburants depuis 40 ans, à hauteur de 1,4 million de dollars par an selon le ministre de l’Économie.
"Je manifeste contre le président Moreno qui met en place ces mesures drastiques. On a des enfants, on reçoit à peine 380 dollars (de salaire) et cela ne suffit pas", expliquait un chauffeur routier du nord de Quito à l’AFP.
Ces mesures s’inscrivent dans le prolongement d’un vaste plan d’austérité qui prévoit également de réformer les conditions de travail des Équatoriens. Les travailleurs du secteur public verront ainsi leurs congés payés réduits de moitié, de 30 à 15 jours par an. Par ailleurs, les nouveaux contrats par intérim connaîtront une baisse de rémunération de 20 %.
Il s’agit d’un ‘paquetazo’, un paquet de réductions budgétaires que les Équatoriens redoutent depuis que le gouvernement a signé, en mars 2019, un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), pour un prêt de 4,2 milliards de dollars.
L’Équateur, le plus petit membre de l’Opep, qui s’apprête à quitter l’organisation, traverse une crise économique et fiscale. Sa croissance s’est ralentie (+0,2 % en 2019) et le gouvernement s’est vu dans l’obligation d’émettre plusieurs titres souverains de plus de 10 milliards de dollars, portant sa dette extérieure à 36 % de son PIB, selon la Banque centrale équatorienne.
Lenin Moreno sur la sellette ?
Les manifestations qui secouent le pays sont à ce jour le plus grand défi du président équatorien, qui a déclaré qu’il ne reviendrait sur ces décisions budgétaires "sous aucune circonstance".
Arrivé au pouvoir en 2017, en tant que dauphin du populaire Rafael Correa, pour ensuite se retourner contre lui, Lenin Moreno a accusé son prédécesseur de lui avoir légué un déficit public de plus de 4 milliards de dollars. Mais se pose désormais la question de son maintien à la tête d’un pays où les mouvements sociaux ont renversé trois présidents entre 1997 et 2005.
Après Abdala Bucaram en 1997 et Jamil Mahuad en 2000, Lucio Gutierrez avait été destitué le 20 avril 2005 dans la foulée d’une forte mobilisation nationale contre l’augmentation du prix du carburant.
Dans ce mouvement de contestation, une partie de la rue réclame le départ de Lenin Moreno, mais ses principaux détracteurs sont dans le camp de l’influent Rafael Correa, au sein du parti Revolucion Ciudadana, crée par les soutiens loyaux de l’ex-président. Les députés "correistes" ont ainsi demandé à l’Assemblée nationale d'envisager une destitution du président et la tenue d’élections anticipées.