Depuis des décennies, les Palestiniens se battent pour obtenir un État face à Israël et être reconnus par la communauté internationale. Mais ils se battent aussi entre eux. La lutte de pouvoir entre le Fatah, en Cisjordanie, et le Hamas, dans la bande de Gaza, est féroce. Arrestations, menaces, tortures... tous les moyens sont bons pour faire taire les opposants. France 24 s’est rendu dans les territoires palestiniens, à la rencontre de représentants des deux camps et de victimes de ces abus.
Depuis 2006, les Palestiniens ne sont pas retournés aux urnes. À l’époque, la victoire du Hamas aux élections législatives a provoqué un séisme aux yeux de la communauté internationale et déstabilisé l’échiquier politique local. Un an plus tard, le mouvement islamiste décidait de prendre les armes pour accaparer la totalité du pouvoir dans la bande de Gaza. Les affrontements avec le Fatah ont été extrêmement violents. La rupture est consommée. Depuis, c’est un affrontement plus discret, mais tout aussi cruel qui se joue entre les deux frères ennemis.
Le Fatah, via l’Autorité palestinienne, reste maître à bord en Cisjordanie. Le Hamas tient, lui, les rênes de la bande de Gaza. "Deux territoires, deux autorités différentes, mais une seule manière de gouverner", selon un rapport de l’organisation Human Rights Watch, publié fin 2018. L’ONG dénonce l’impossibilité d’exprimer la moindre opinion ou opposition. Arrestations arbitraires, intimidations et même actes de tortures sont monnaie courante, tant à Gaza qu’en Cisjordanie, où l’Autorité palestinienne, soutenue par la quasi-totalité de la communauté internationale, mate elle aussi discrètement toute voix discordante. Omar Shakir, le directeur régional de Human Rights Watch (HRW) assure même qu'il est plus compliqué d’être membre du Hamas en Cisjordanie - car pourchassé à la fois par les forces israéliennes et par l’Autorité palestinienne -, que sympathisant du Fatah dans la Bande de Gaza.
Suspendu à une porte, les mains attachées
En Cisjordanie, nous avons rencontré Osama al-Nabrisi, qui a passé douze ans dans une prison israélienne pour avoir participé à des attaques contre une colonie. Lorsqu’ils sont en détention, les Palestiniens doivent choisir leur quartier : celui du Hamas ou celui du Fatah. Osama avait choisi le premier. Mais depuis sa libération et son retour chez lui en Cisjordanie, c’est l’Autorité palestinienne qui le pourchasse... Une trentaine d’arrestations, plus ou moins longues, et des séances de torture comme celle où il est resté suspendu à une porte, les mains attachées dans le dos.
À Gaza, c’est le journaliste Fouad Jarada qui nous reçoit chez lui et dans la rédaction de Palestine TV, la télévision officielle de l’Autorité palestinienne. L’an dernier, lors de sa cinquième arrestation par le Hamas, il est resté un mois entier les yeux bandés et a passé en tout soixante-dix jours derrière les barreaux. Comme Osama, son affiliation politique est son seul crime.
Le Hamas assure que sous le règne du Fatah, la Cisjordanie est devenue une dictature. Bassem Naim, responsable des relations extérieures du Hamas, estime qu’y vivre est un "cauchemar" pour tout membre ou partisan du mouvement islamiste. Les responsables du Fatah leur retournent le compliment. Atef Abou Saif, l’ancien porte-parole du Fatah dans la bande de Gaza a d’ailleurs une nouvelle fois été sévèrement agressé en début d’année. Exfiltré de l’enclave en urgence pour se faire soigner dans un hôpital de Cisjordanie, il avait accepté de répondre à nos questions… mais n’est finalement jamais venu au rendez-vous. Le sujet est trop sensible. D’autant que l’homme est depuis devenu ministre de la Culture de l’Autorité palestinienne.
Alors que HRW dénonce la mise en place d’"États policiers parallèles" en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les Palestiniens sont les premières victimes de cette guerre fratricide. Une lutte de pouvoir qui pourrait bien bénéficier à leur ennemi commun, Israël, tandis que la communauté internationale, elle, reste muette sur le sujet.