Un sommet sur l’Amazonie a lieu vendredi sous le signe de la lutte contre la déforestation. À son issue, six pays doivent signer un pacte régional pour préserver la forêt. Ce pacte existe toutefois depuis plus de 40 ans déjà, sans réel impact.
À l’approche du sommet d’urgence sur l’Amazonie, qui se tient vendredi 6 septembre à Leticia, au sud de la Colombie, le président colombien Ivan Duque a annoncé l’adoption d’un pacte régional pour protéger la plus grande forêt tropicale du monde. Un texte qui sera par la suite présenté à l’Assemblée générale des Nations unies.
Ce Pacte de Leticia inclura des "actions concrètes" dans chacun des six pays signataires, a indiqué Carlos Holmes Trujillo, ministre des Affaires Étrangères colombien. Le sommet sur l’Amazonie réunit autour de la table les chefs d’État de Colombie, du Pérou, de Bolivie, d'Équateur, ainsi que le vice-président du Surinam et le ministre des Affaires étrangères brésilien, Ernesto Araujo, en représentation de Jair Bolsonaro. Avec ce texte "nous allons dynamiser l'action non seulement nationale, mais aussi régionale et globale pour défendre l'Amazonie", avance Carlos Holmes Trujillo.
Aussitôt annoncé, et alors qu’on ne connaît pas encore le contenu détaillé des mesures, les médias et les défenseurs de l’environnement se sont précipités pour rappeler au gouvernement colombien qu’un traité de ce genre existe déjà, et ce depuis plus de 40 ans.
Rhétorique écologiste mais politique extractiviste
Signé par huit pays en 1978, le Traité de Coopération Amazonienne (TCA), et l’organisation chargée dès 1995 de promouvoir son application (OCTA), avaient comme objectif d’atteindre "un équilibre entre la croissance économique et la préservation de la forêt".
"Ce fut un échec car il y avait une forte contradiction entre la rhétorique écologiste des pays signataires et leur politique extractiviste”, déplore Manuel Rodríguez Becerra, premier ministre colombien de l’Environnement, aujourd’hui président de l’ONG colombienne Foro Nacional Ambiental, interrogé par France 24. “À l’époque, il y avait peu d’intérêt pour préserver la forêt, alors que naissait une myriade de projets hydroélectriques, miniers et routiers”, rappelle celui qui a été président de Forum des Nations unies sur les forêts.
Face à l’échec de l’OCTA, un nouveau pacte veut voir le jour avec l’intention "d’unifier les visions" qu’ont les différent pays latino-américainspour protéger l’Amazonie – sauf le Venezuela, qui n’a pas été invité à cesommet. “Je ne suis pas certain que cela aboutisse sur quelque chose de concret. Nous ne disposons d’aucun mécanisme pour sanctionner le Brésil et il faut rappeler que 55 % des émissions carbone des pays amazoniens sont liés à la déforestation ”, affirme Manuel Rodríguez Becerra.
Expansion de la frontière agricole
Aujourd’hui encore, les lobbies de l’agrobusiness sont omniprésents en Amérique du Sud et l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil leur a donné des ailes. L’OCDE prévoyait déjà en 2015 que le pays devriendrait le premier fournisseur de produits agricoles de la planète en 2024. Et au Pérou, en Colombie ou en Équateur, l’industrie agricole représente autour de 15 % des emplois.
En Bolivie, Evo Morales a signé en juillet un décret présidentiel autorisant les "incendies maîtrisés" dans le cadre d’exploitations agricoles dans les départements de Santa Cruz et de Beni, près de la frontière avec le Brésil et le Paraguay, à la lisière de l’Amazonie. Des incendies volontaires qui permettent d'augmenter les surfaces agricoles, au détriment de la forêt.
À deux mois de la présidentielle bolivienne, face au poids politique des géants de l'agro-industrie, le président ne cache pas sa volonté de soutenir les producteurs locaux et de poursuivre le développement de la culture du soja, du bétail et des agrocarburants. Selon l’Institut national de statistiques bolivien, la quantité de terres cultivables a augmenté de 83 % depuis l’an 2000 pour se situer aujourd’hui autour des 3,5 millions d’hectares. Le 6 août dernier, le gouvernement bolivien a réaffirmé son intention d’étendre cette aire à quelques 10 millions d’hectares d’ici 2025, pris sur les forêts.
La Colombie, dont 42 % du territoire est amazonien, est également scrutée de près par les défenseurs de l’environnement. En 2018, 25 jeunes avaient porté plainte contre l’État colombien pour inaction climatique concernant la forêt amazonienne. La Cour suprême de justice avait ainsi déclaré l’Amazonie “sujet de droit” et ordonné au gouvernement la mise en place de mesures concrètes pour réduire la déforestation. Mais selon les chiffres de l’agence ministérielle colombienne de surveillance écologique, l’IDEAM, la destruction de l’Amazonie n’aurait reculé que de 4 % entre 2017 et 2018.
“L’agriculture est au centre du problème”, explique à France 24 Valentina Rozo, chercheuse en développement économique pour l’ONG Dejusticia. À côté des géants de la production agricole, les agriculteurs pratiquent aussi la culture du brûlis. “Les paysans nous disent qu’ils n’ont pas les moyens de cesser leur activité. Ils brûlent la forêt pour survivre.”
La chercheuse, qui a accompagné les plaignants dans leur combat écologique, souligne l’importance d’étendre un mécanisme connu sous le nom de “paiement pour services environnementaux” (PSA). “Il s’agit de rémunérer les communautés vivant dans une zone d’incendies pour un travail de reforestation, d’autant plus qu’elle connaissent bien la flore locale”, dit-elle.
Le Chemin de l’Anaconda
“Des réponses intéressantes existent”, ajoute Manuel Rodríguez Becerra, qui évoque aussi des solutions à trouver dans le secteur de l’élevage, principal responsable de la déforestation . “Même la Fédération colombienne d’éleveurs affirme qu’avec une meilleure optimisation technologique, les terres d’élevage pourraient être réduites d’un tiers, c’est-à-dire d’environ 12 millions d’hectares”, avance-t-il.
Une autre piste de réflexion serait de donner vie au Chemin de l’Anaconda, connu aussi sous le nom de “Corridor AAA” : un projet de zone protégée de quelques 265 millions de km2, reliant les Andes, l’Amazonie et l’océan Atlantique, partagé entre huit pays différents. Cette réserve comprendrait près de 400 communautés indigènes et 30 millions d’habitants.
L’idée provient de l’ONG colombienne Gaia Amazonas et germe dans la tête de son fondateur, l’anthropologue Martin Von Hildebrand, depuis près de 30 ans . En 2017, des études ont démontré la mise en péril d’un phénomène essentiel à la biodiversité sud américaine : la continuité de la frange verte et humide qui relie les Andes à l’Amazonie. Cette année-là, des ministres et ambassadeurs de Colombie, Pérou, Brésil, Équateur et Venezuela se sont réunis pour tenter de faire avancer le projet .
“Le plus efficace pour protéger l’Amazonie, c’est de blinder légalement les réserves indigènes et les parcs naturels”, confirme Manuel Rodríguez Becerra, président de Foro Nacional Ambiental. “Les chiffres de l’IDEAM sont optimistes : en Colombie, par exemple, ce régime spécial de protection a permis que seuls 5 % de ces surfaces aient subi des transformations environnementales.” Le Brésil dispose en théorie d’un système légal destiné à protéger ces aires indigènes, mais Jair Bolsonaro a affaibli ces lois.
Le Chemin de l’Anaconda permettrait, selon la Fondation Gaia Amazonas, de sauver quelques 200 espèces. Le président brésilien y voit une concurrence directe à son plan Calha Norte, un vaste plan d’infrastructure tout le long de la frontière nord du pays , qui avait été initié par la dictature militaire dans les années 1980 et que Jair Bolsonaro souhaite ressusciter avec une partie de son budget consacré à la Défense.