
Après la condamnation, lundi, de Johnson & Johnson par la justice américaine pour la crise sanitaire des opiacés, les groupes pharmaceutiques pourraient préférer passer à la caisse pour éviter le procès.
Deux jours après la condamnation de l’entreprise Johnson & Johnson à payer 572 millions de dollars à l'État de l'Oklahoma pour la crise des opiacés, d'autres groupes pharmaceutiques pourraient accepter de payer pour éviter un procès, dans le cadre de l’une des crises sanitaires les plus graves des États-Unis.
Le groupe Purdue Pharma, fabricant d'un des principaux médicaments antidouleur opiacés, OxyContin, aurait déjà offert, selon certains médias, de payer entre 10 et 12 milliards de dollars pour solder plus de 2 000 plaintes déposées contre lui.
Plus de 47 000 morts
Purdue Pharma, propriété de la famille Sackler, qui avait déjà accepté en mars un accord à l'amiable dans l'Oklahoma assorti d'un versement de 270 millions de dollars à cet État, n'a pas confirmé ces montants.
Celui-ci a en revanche reconnu négocier "activement" un accord à l'amiable, expliquant n'avoir "guère intérêt à passer des années en vaines batailles juridiques" et souhaiter "une solution constructive" à cette crise, qui a fait 47 000 morts par overdose aux États-Unis, pour la seule année 2017.
Depuis, d'autres laboratoires et distributeurs pharmaceutiques attaqués dans le dossier de l'Ohio devraient désormais se placer dans cette logique, après la condamnation de Johnson & Johnson pour avoir adopté des pratiques "trompeuses de marketing et de promotion des opiacés", selon Carl Tobias, professeur de droit à l'université de Richmond en Virginie.
Surprescription de médicaments addictifs
Johnson & Johnson, Purdue et d'autres laboratoires et distributeurs pharmaceutiques sont accusés d'avoir encouragé les médecins à surprescrire ces médicaments. Des médicaments initialement réservés aux patients atteints de cancers particulièrement graves, mais dont les laboratoires et distributeurs savaient qu'ils généraient de graves dépendances.
Depuis 1999, cette dépendance a poussé de nombreux consommateurs de ces médicaments vers des doses de plus en plus fortes, puis vers des drogues illicites comme l'héroïne ou le fentanyl, à fort risque d'overdose fatale.
Pour Carl Tobias, beaucoup des sociétés attaquées, notamment dans le dossier de l'Ohio où de nombreuses collectivités locales et États figurent parmi les plaignants, "devraient maintenant y réfléchir à deux fois" avant d'aller au procès.
Bien que la loi sur les "nuisances publiques" invoquée par le procureur dans l'Oklahoma soit plus large que dans d'autres États, et même si Johnson & Johnson a annoncé qu'il ferait appel de sa condamnation, le juge a clairement prévenu que les sociétés pharmaceutiques "pouvaient être tenues pour responsables" de la crise et de ses ravages, selon cet expert.
Coût sociétal : 453 milliards de dollars sur dix ans
L’évaluation des dégâts provoqués par cette crise, érigée en urgence sanitaire nationale par le gouvernement Trump en octobre 2017, ne cesse d’augmenter et pourrait constituer un autre facteur susceptible d’accélérer la recherche d'accords à l'amiable.
Les élus américains, y compris les maires de métropoles comme New York ou les procureurs de nombreux États, semblent de plus en plus déterminés à faire payer les groupes pharmaceutiques pour les dépenses induites par ce fléau. Des dépenses allant de la mobilisation des forces de l'ordre ou du personnel d'urgence face aux overdoses, jusqu'aux soins médicaux pour les malades, en passant par les programmes de prévention qui se sont multipliés à travers le pays.
Pour le seul État de l'Oklahoma, par exemple, la facture sur les trente ans à venir avait été chiffrée à plus de 17 milliards de dollars.
Si Johnson & Johnson n’a été condamné qu’à payer 572 millions – correspondant à un an de coûts projetés –, le juge ayant estimé insuffisants les éléments apportés pour justifier les dépenses des années suivantes, les mesures à prendre nationalement pour maîtriser cette crise pourraient, elles, atteindre 453 milliards de dollars sur les dix prochaines années, explique Caleb Alexander, spécialiste de l’université Johns Hopkins.
Selon Elizabeth Burch, avec de telles estimations, les batailles pour récupérer une part des indemnités versées par les sociétés pharmaceutiques risquent, elles aussi, de s'intensifier.
Dans l'Oklahoma, l'accord annoncé en mars avec Purdue Pharma prévoyait que les 270 millions de dollars que ce laboratoire a accepté de payer serviraient en grande partie à financer un centre de recherches sur les dépendances au sein d'une université locale.
Mais le parlement de cet État a voté peu après une loi prévoyant que l'argent reviendrait finalement dans ses caisses. Le gouvernement fédéral a depuis réclamé à l'Oklahoma une partie de l'argent versé.
Avec AFP