
Il y a 50 ans, Nick Ercoline et sa petite amie Bobbi Kelly assistaient au festival de Woodstock. Au matin du 17 août, le couple enlacé dans une couverture est immortalisé par un photographe de Life Magazine. Aujourd'hui, ils sont toujours ensemble.
Main dans la main, Bobbi et Nick regardent la colline devant eux et se remémorent ce week-end d’août 1969. C’était il y a 50 ans mais ils n’ont rien oublié.
"De là où nous étions, au sommet de la colline, nous ne pouvions pas voir la scène, se souvient Nick, mais nous pouvions apercevoir comme une brume se lever. C’était la moiteur de l’air, la fumée des feux de camps, mélangées aux lumières orange de la scène. Au-delà de la musique des artistes, on pouvait entendre le murmure de l’humanité qui nous entourait, un océan d’humanité."
Un festival engagé politiquement
Bobbi et Nick avaient 20 ans et se fréquentaient depuis trois mois. Enfants du coin, ils avaient entendu à la radio qu’un festival allait se tenir dans la région, à Bethel, à 180 kilomètres au nord de New York. Avec trois amis, le couple décide aussitôt de prendre la route.
"Nous avons garé notre voiture avec des milliers d'autres laissées n’importe où, sur les bords de route, dans les champs, sur les pelouses des maisons, raconte Bobbi. Comme ils ne pouvaient plus avancer, certains se sont mis à camper sur place, d’autres se sont mis à marcher vers le festival, comme nous. Sur la petite route de campagne, vous pouviez entendre le claquement des pieds nus ou des sandales sur le bitume. C’était juste merveilleux !"
Sur scène, Jimmy Hendrix, Joan Baez, Joe Cocker, Janis Joplin se succèdent. Tous chantent l’amour et dénoncent la guerre du Vietnam. Cet été-là, Neil Armstrong marchait sur la Lune , les Afro-Américains se battaient pour leurs droits civiques et Sharon Tate était assassinée par Charles Manson.
"Ces trois jours étaient comme une parenthèse", se souvient Nick Ercoline.
Une fois sur place, Nick, Bobbi et leurs amis trouvent un coin de gazon et passent la nuit à même le sol, écoutant la musique crachée par des haut-parleurs géants. Au petit matin du 17 août, leurs yeux sont encore embués quand ils s’enlacent dans une grande couverture. Burk Uzzle, envoyé spécial de Life Magazine, assiste à la scène et les prend en photo, sans même qu’ils s’en aperçoivent.
Identifiés sur la photo de Life Magazine 20 ans après
Un an après le festival, leur ami Jim Corcoran vient les trouver et leur montre l’album du festival. Sur la pochette, Nick et Bobbi se reconnaissent. "C’est à ce moment-là que j’ai dû avouer à ma mère que j’étais allée à Woodstock", s'amuse Bobbi. Toutefois, les amoureux oublient vite car "dans la région, le festival n’avait pas laissé un bon souvenir. Le comté de Sullivan était dévasté à cause de la quantité de déchets et de voitures abandonnées. Il a dû dépenser des milliers et des milliers de dollars pour nettoyer. Les fermiers ont dû jeter leur lait pendant 3 à 5 jours parce qu’ils ne pouvaient pas faire venir les camions. Woodstock n’était donc pas évoqué avec enthousiasme." C’est seulement lors du 20e anniversaire du festival que Bobbi et Nick ont été publiquement identifiés pour le numéro spécial de Life Magazine. Depuis, ils sont un peu les dépositaires de l’esprit de Woodstock.
Un couple toujours uni
Aujourd'hui, l es hippies ont cédé la place mais Nick et Bobbi sont toujours ensemble. Ils vivent à quelques kilomètres de Bethel. Bobbi est infirmière scolaire à la retraite et Nick a longtemps été menuisier. Une vie calme, bien loin de l’esprit "sex, drugs and rock ’n’ roll" de leurs 20 ans. "En 1969, c’était l’amour libre, la vie en communauté. Les gens ne restaient pas ensemble. Nous sommes l’opposé de ça. Nous y sommes allés en couple et deux ans après nous étions mariés. Et voilà, 50 ans plus tard, on s’éclate toujours !", confie Nick.
Dans le jardin de la maison familiale de Pine Bush, le drapeau hippie accueille les visiteurs ; dans la cuisine, un poster de leur photo trône au-dessus de la table du petit-déjeuner. Le cliché fait partie intégrante de leur histoire d’amour. "Je ne peux pas imaginer nos vies sans Woodstock. Ça fait partie de nous. C’est un peu de notre identité", souligne Bobbi, grand-mère de quatre petits-enfants dont les nombreuses photos recouvrent le réfrigérateur familial.
"Je vois cette photo de nous à 20 ans tous les jours, raconte-t-elle. C’est le témoin d’une époque tellement dure pour notre pays. Les divisions, les conflits raciaux, la guerre du Vietnam, les assassinats... mais la musique nous rassemblait tous. Et c’est la raison pour laquelle c’était si pacifique."
Une époque tourmentée mais aussi plus authentique, que regrette la jeune retraitée. "C’est comme si nous ne nous rappelions pas ce qui s’est passé il y a 50 ans. J’attends de la musique qu’elle envoie des messages à la jeune génération. La musique peut être un outil très puissant quand on veut protester. Mais de ce que j’entends, les artistes ne s’impliquent pas vraiment, ils parlent surtout d’eux et d’argent." Bobbi et Nick regrettent cette époque et souhaiteraient pour les futures générations un peu plus de l’esprit de Woodstock.