La mobilisation des Sibériens et des climatologues, qui reprochaient à Moscou son inertie face aux feux qui ravagent la Sibérie, a porté ses fruits. Vladimir Poutine a ordonné à l’armée, mercredi, de combattre les flammes. Mais peut-être trop tard.
Des feux gigantesques ravagent des millions d'hectares de forêt en Sibérie depuis plusieurs semaines, dans une quasi-indifférence générale. Les fumées de ces incendies s'étendent sur des milliers kilomètres, au point d’intoxiquer l’air de centaines de villes russes, dont les très peuplées Novossibirsk et Ekaterinburg.
Face à l’urgence de la situation et les critiques grandissantes contre l’inertie de Moscou face à la voracité des flammes, le président Vladimir Poutine a donné l’ordre à l'armée, mercredi 31 juillet, d’intervenir et de prendre part aux combats contre les flammes.
Provoqués par des facteurs naturels comme des orages secs et une chaleur "anormale" de 30 C° dans l’une des zones les plus froides du monde, les feux sont nourris par des vents forts, selon l'Agence fédérale des forêts. Si, tous les ans, des incendies de forêt dévastent de grandes étendues isolées de Sibérie, leur ampleur cette année atteint un niveau exceptionnel, avec plus de 300 feux dénombrés, poussant certains médias russes à évoquer "l’Apocalypse".
Des opérations trop coûteuses selon les gouverneurs locaux
Au total, selon les autorités russes et des ONG de protection de l’environnement, plus de 3,2 millions d'hectares, soit un peu moins de la taille du territoire de la Belgique, étaient en proie aux flammes mercredi, essentiellement dans les vastes régions de Iakoutie, de Krasnoïarsk et d'Irkoutsk.
Vidéo publié par le Siberian Times, le 26 juillet.
La décision d’envoyer sur le terrain l’armée est "assez tardive", estime Grigori Kouksine, un responsable de l'ONG Greenpeace Russia, et ne devrait pas changer "fondamentalement" la situation. "Il aurait mieux valu éteindre ces feux à des étapes plus précoces, quand il était encore possible de le faire", a-t-il déploré sur la radio indépendante Écho de Moscou.
La majorité de ces feux de forêts dévastateurs embrasent des "zones de contrôle", terme officiel désignant des zones éloignées, non-habitées ou peu accessibles, où la décision d'éteindre les incendies est prise seulement si le coût économique des dégâts estimés dépasse celui des opérations.
Or dans le système russe, la décision de lancer des opérations contre des incendies de grande ampleur appartient aux autorités régionales. Ainsi, le gouverneur du territoire de Krasnoïarsk, Alexander Uss, a déclaré, lundi 29 juillet, que les feux actuels sont le fruit d’un phénomène naturel courant, et entreprendre de les éteindre n'avait pas de sens et serait dangereux pour les sauveteurs.
Mardi, le Premier ministre Dmitri Medvedev avait, à l’issue d’une réunion gouvernementale, appelé les gouverneurs des régions concernées, qui réclament de leurs côtés plus de moyens, à prendre leurs responsabilités et à "ne pas pointer le doigt" vers Moscou.
Colère des Sibériens, détresse des climatologues
Une manière de détourner la colère froide qui a grondé contre le manque de réaction des autorités russes face à ces incendies. Notamment sur Internet, où des Sibériens ont lancé une campagne via les réseaux sociaux (Instagram, Twitter et VKontakte) visant à attirer leur attention sur la situation, ainsi que celle de la communauté internationale avec des hashtags comme #laSibériebrûle ou #sauvezlesforetssibériennes. Des internautes se sont photographiés au milieu d’épaisses fumées ou avec des pancartes appelant les autorités à réagir, d’autres ont publiés des dessins avec des messages suppliant de protéger la forêt sibérienne.
Vidéo publié par le Siberian Times, le 26 juillet.
Une publication partagée par Polina Tkachenko (@hakayna_tkach98) le 30 Juil. 2019 à 1 :39 PDT
Plusieurs célébrités russes, artistes, sportifs, et personnalités du monde médiatique ont appuyé la révolte des internautes. "L’écosystème des forêts sibériennes est l’une des richesses les plus précieuses non seulement de la Russie, mais de l’humanité tout entière, pour laquelle on ne peut être aussi irresponsable", a écrit sur son compte Instagram la chanteuse Monetochka.
Ces incendies et leurs conséquences ont également alerté les climatologues et les défenseurs de l’environnement qui ont dénoncé l’inaction des autorités face à ce qu’ils considèrent comme une "catastrophe écologique", menaçant de précipiter la fonte de l'Arctique. Et donc d’accélérer le réchauffement climatique.
"La situation avec les feux de forêts dans la partie orientale de la Russie a cessé il y a longtemps d'être un problème local (...) et s'est transformée en une catastrophe écologique à l'échelle de tout le pays", a averti l'antenne russe de l'ONG Greenpeace.
Catastrophe écologique en Russie : environ 4 millions de km2 de fumée au dessus du nord de l'Asie Centrale. Des villes importantes de Sibérie sont touchées par une brume toxique qui a déjà touché l'Oural. https://t.co/abJeJIqHS1
Greenpeace France (@greenpeacefr) July 30, 2019L'organisation, qui a relayé des images satellites de la Nasa montrant d'immenses nuages de fumée partant des feux sibériens et atteignant les zones arctiques, a même lancé une pétition en ligne, signée jusqu’ici par plus de 314 000 personnes.
Interpellant Vladimir Poutine et les autorités fédérales russes, le texte les appelle à une réaction immédiate. "Le pays subit des pertes énormes, la forêt brûle, des animaux et des oiseaux meurent, les fumées empoisonnent les habitants dans les villes, est-il écrit. Nous exigeons l’envoi de forces supplémentaires pour lutter contre les incendies de forêt dans les régions en feu, et d’éteindre tous les nouveaux incendies, y compris dans les zones de contrôle".
Selon Greenpeace, la suie et les cendres accélèrent la fonte des glaces de l'Arctique et celle du permafrost, cette couche de "neige éternelle" qui a tendance à se réduire cette année, libérant des gaz à effet de serre et des substances (dioxyde de carbone, mercure, bactéries) qui, elles-mêmes, accélèrent le réchauffement climatique.
Début juin, le Service de surveillance de l'atmosphère de Copernicus (CAMS), qui fournit des données sur la composition atmosphérique et les émissions, ont suivi plus de 100 incendies de forêt dans le cercle polaire arctique, qui a vécu son mois de juin le plus chaud depuis le début des enregistrements de températures.
L’Organisation météorologique mondiale (OMM), le service de surveillance météorologique et climatologique de l’ONU, a qualifié ces feux dans l’Arctique de "sans précédent".
Avec AFP