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Robots dinosaures, surveillance et lune artificielle : Neom, la cité du futur dont rêve MBS

Des documents confidentiels consultés par le Wall Street Journal révèlent les projets de Mohammed ben Salmane, le prince héritier d'Arabie Saoudite, pour sa ville futuriste sur la mer Rouge, Neom.

Le projet est à mi-chemin entre l'utopie futuriste, l'imagination d'un adolescent de 13 ans fan de science-fiction et un épisode de la série "Black Mirror". Dans un article publié vendredi 26 juillet, le Wall Street Journal révèle les contours de Neom, la mégalopole futuriste que le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (surnommé MBS), a annoncé vouloir bâtir dans le nord-ouest de son royaume. Le nom vient de "neo" (nouveau en grec) et "M" pour "mostaqbal" ("futur", en arabe).

Un "Jurassic park" constitué de dinosaures robots, une fausse lune qui servira d'attraction touristique, des combats de robots en guise d'animation, une plage qui "brille dans la nuit", des taxis volants… Rien ne semble trop fou pour cette ville de 26 500 km2 – presque trois fois la taille du Liban –, bâtie sur les rives de la mer Rouge, en plein désert. Désert qui sera cultivé grâce à des pluies artificielles.

"La ville doit supplanter la Silicon Valley en terme de technologie, Hollywood en terme de divertissement et la riviera méditerranéenne en terme de tourisme", affirme l'article du journal américain.

Au total, le Wall Street Journal a pu consulter 2 300 pages de documents confidentiels issus des travaux des sociétés de conseil Boston Consulting Group, McKinsey & Co. et Oliver Wyman, qui ont travaillé sur le projet. Le conseil d'administration de Neom a adopté ces propositions, révèle l'article, mais des employés du groupe doutent que l'intégralité de celles-ci soient menées à bout en raison des limitations financières ou technologiques.

Joint par le Wall Street Journal, Neom et le gouvernement saoudien ont refusé de commenter les affirmations publiés par le média américain.

"La phase 2 est lancée"

Le week-end du 20 juillet, le site de Neom accueillait un de ses premiers évènements publics : une compétition de beach-soccer approuvée par la Fifa. En marge de ce tournoi vitrine, le PDG de Neom, Nadhmi al-Nasr, a tenu une conférence de presse pour rendre compte de l'avancement du projet, après la première phase annoncée en grande pompe en octobre 2017.

"La phase 2 de notre projet est lancée et on l'aura achevée fin 2019. À ce moment-là, nous serons prêts à révéler au monde à quoi ressemblera Neom", a-t-il déclaré, selon Arab News.

"Nous voulons que vous pensiez qu'il est possible de vivre à Neom, de travailler et de prendre sa retraite à Neom et, évidemment, ça nous dérangera pas si vous investissez dans Neom", a-t-il poursuivi en plaisantant. "Un million de citoyens sont attendus à Neom en 2030 et cinq millions de touristes annuels", a-t-il ajouté, arguant que la ville était accessible en moins de huit heures d'avion de 70 % de la population mondiale. L'alcool, interdit dans le reste du royaume, pourrait être autorisé dans la zone dans un effort d'attirer les investisseurs du monde entier.

"Nous avons lancé Neom, mais nous ne le finirons jamais. Il n'y aura pas de fin à Neom", promet-il.

Surveillance généralisée

Sous le vernis futuriste, les documents consultés par le Wall Street Journal révèlent également quelques vérités moins reluisantes.

"Cela devra être une ville automatisée où nous pouvons tout surveiller", aurait déclaré le conseil d'administration de Neom dans l'un des documents cités par le WSJ. "[Une ville] où un ordinateur peut signaler les crimes et où tous les citoyens peuvent être suivis."

Autre motif d'inquiétude, la mise en place d'une justice spéciale, "indépendante" du reste du royaume, qui serait exercée par le roi et qui se baserait sur la jurisprudence islamique et la charia.

Pour mener à bien ce projet, les quelques 20 000 habitants qui vivent dans la région devront également être expulsés de leur terrain. Selon le Wall Street Journal, Boston Consulting Group prévoyait de mener à bien ce plan de "relocalisation" d'ici 2025, mais MBS a accéléré le processus en posant comme date limite 2022.

"La relocalisation des résidents dans l'intérêt des projets de travaux publics n'est pas rare dans le royaume", a déclaré dans un communiqué Neom. Les locaux recevront une compensation et des avantages, notamment un programme de bourses d’études pour "acquérir les compétences nécessaires pour faire partie de la vision de Neom", ajoute le communiqué. Ce programme est d'ailleurs mis en avant dans une vidéo promotionnelle de l'ambassade d'Arabie saoudite en France.

Le giga-projet de #smartcity @NEOM en Arabie saoudite vient d'ouvrir un programme de bourses afin de former les jeunes de la région au métiers de demain #Vision2030 pic.twitter.com/MrO728ETx0

  Arabie Saoudite en France (@KSAembassyFRA) July 26, 2019

Des reporters de Bloomberg sont allées à la rencontre des habitants de la zone. Plusieurs sentiments émergent : l'inquiétude face au projet, la peur, mais aussi l'espoir que cela bénéficie à tous.

"On s'attend à ce que de bonnes choses arrivent", expliquent ainsi Abdulaziz al-Huwaity, un local de 40 ans, à Bloomberg, "mais ces bonnes choses, ceux qui habitent à Neom pourront-ils en bénéficier ?"

Others fear resettlement & losing their homes. Neom estimates more than 20,000 people will be relocated.
“They’re looking forward to good things coming,” said Abdulaziz Al Huwaity, 40. “But these good things, will the people of Neom have a share of them?”https://t.co/g7bDCmKG2u

  Vivian Nereim (@viviannereim) July 25, 2019

Quid du financement ?

Lors de l'annonce du projet en 2017, Mohammed ben Salmane avait annoncé des investissements de plus de 500 milliards de dollars (425 milliards d'euros) pour bâtir la mégalopole de ses rêves. Cependant, le financement pourrait s'avérer compliqué. Selon le WSJ, le royaume saoudien aurait même dû contracter des emprunts à l'étranger pour financer les premières phases du projet.

La situation géopolitique complique les levées de fonds. MBS, après être apparu comme un réformateur progressiste, a vu sa réputation écornée par le meurtre du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi en octobre 2018 à Ankara. La CIA a établi que le meurtre a été ordonné par Mohammed ben Salmane, des accusations réfutées par Riyad.

Peu après ces évènements, Mohammed ben Salmane s'inquiétait publiquement que cet assassinat signe la fin de ses ambitions : "Personne ne voudra investir [dans mon projet] avant des années", avait-il déclaré en décembre 2018, selon le Financial Times.