La Chambre des représentants a adopté un amendement obligeant le Pentagone à enquêter sur une théorie du complot, selon laquelle l’essor de la maladie de Lyme aux États-Unis serait dû à une expérience scientifique de l’armée qui aurait mal tourné.
Et s’il y avait un hic avec les tiques à l’origine de la maladie de Lyme ? C’est ce que veut savoir la Chambre américaine des représentants, qui a adopté la semaine dernière un amendement semblant sortir tout droit d’une théorie du complot, ont rapporté différents médias américains, mardi 16 juillet.
Le texte enjoint l’inspecteur général du département de la Défense à réaliser une enquête pour déterminer si le Pentagone a “militarisé” ces insectes entre les années 1950 et 1975, afin de les utiliser comme des armes capables de répandre la maladie de Lyme parmi les troupes ennemies. Une infection grave qui entraîne des troubles comme des fatigues chroniques, des fièvres, de perte de mémoire à court terme ou encore des douleurs articulaires.
Deux livres, une théorie du complot
L’amendement a été déposé par le représentant républicain du New Jersey, Chris Smith, qui affirme avoir été inspiré “par bon nombre de livres et d’articles suggérant que l’armée américaine avait fait de recherches approfondies pour transformer les tiques en armes biologiques”.
Un ouvrage controversé, paru le 16 mai, a ravivé l’intérêt pour une vieille thèse arguant que des tiques médicalement modifiées ont été relâchées, dans les années 1960, par accident ou volontairement par l’armée américaine sur le sol des États-Unis, où elles ont propagé la maladie de Lyme. L’auteure de “Mordu : l’histoire secrète de la maladie de Lyme et des armes biologiques” ajoute sa pierre à l’édifice conspirationniste, assurant avoir obtenu les aveux de William Burgdorfer, le scientifique qui a découvert le lien entre les tiques et la maladie de Lyme en 1982. Ce dernier, décédé en 2014, aurait reconnu à l’auteure avoir personnellement travaillé à doper des insectes avec des maladies transmissibles à l’homme et détenir la preuve que des tiques infectées avaient été introduites par erreur dans des zones résidentielles. Partant de là, le livre raconte ensuite comment les autorités américaines ont tout fait pour cacher la vérité sur une maladie qui affecte environ 300 000 Américains chaque année.
Cette théorie du complot pour dissimuler une bourde du Pentagone remonte à la parution, en 2004, d’un autre livre intitulé “Lab 257 : l’histoire déroutante du laboratoire secret du gouvernement sur Plum Island”. L’auteur, un juriste d’affaire américain, y narre l’histoire véridique d’un centre de recherche sur l’île de Plum, au large du Connecticut, où l’armée menait des recherches sur des maladies affectant des cheptels d’animaux. Mais le livre va bien plus loin, arguant qu’un scientifique nazi, exfiltré par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, y aurait travaillé à inoculer des maladies transmissibles à l’homme à des tiques qui auraient réussi à rejoindre les côtes américaines. Preuve ultime : la ville de Lyme - le foyer historique de la maladie éponyme aux États-Unis - se trouve dans le Connecticut à quelques kilomètres de l’île de Plum.
Dans le top 10 des maladies aux États-Unis
Les thèses de ce livre ont été contestées maintes fois par les autorités américaines, et l’auteur lui-même a reconnu n’avoir pas de preuves directes, mais la théorie n’en a pas moins réussi à se propager sur les très accommodantes autoroutes modernes de l’information. Et il aura suffi d’un second ouvrage, lui-même déjà contesté, pour que l’idée franchisse les portes du Congrès américain.
Un succès pour une théorie du complot qui peut étonner. Mais la maladie de Lyme est devenue l’une des infections “qui se propagent le plus vite aux États-Unis”, note le Center for Disease Control (Centre pour le contrôle et la prévention des maladies) qui la classe parmi les 10 principales pathologies à surveiller sur le sol américain. Plus de 10 millions de dollars sont investis chaque année par les pouvoirs publics pour soutenir la recherche et le développement de traitements de cette maladie qui entraîne des fortes fatigues chroniques, des pertes de mémoire ou encore des fièvres. Chris Smith, l’auteur de l’amendement à la Chambre des représentants, est d’ailleurs membre d’un groupe de travail très officiel au Congrès consacré à la maladie de Lyme.
L’adoption par la Chambre des représentants du texte ne signifie pas que le Pentagone se retrouvera du jour au lendemain obligé à un mea culpa, que les complotistes espèrent obtenir. Il faut encore que le Sénat approuve, à son tour, cette requête au département de la Défense. Mais cette trajectoire montre à quel point, à l’heure des “fake news” et du Web complotiste triomphant, une thèse sans réelle base scientifique peut obtenir une reconnaissance politique.