Devant l’augmentation du nombre de féminicides en France, le gouvernement a annoncé, dimanche, le lancement en septembre d'un "Grenelle des violences conjugales". Il faut dire que la France a du retard dans le domaine.
Jeudi 4 juillet, Isabelle, 37 ans, est renversée par une voiture à Thil, près de Reims. Au volant, son compagnon de 34 ans. Vendredi 5 juillet, Christelle, 32 ans, mère de quatre enfants, est poignardée à mort par son compagnon, à Perpignan. Samedi 6 juillet, une femme de 31 ans décède en Vallée de Chevreuse (Yvelines) étranglée par son conjoint de 28 ans. Une semaine pourtant ordinaire en France, où une femme est tuée tous les deux jours par son conjoint. Un chiffre d’autant plus préoccupant qu’il est en augmentation par rapport aux statistiques officielles des six dernières années, qui décomptaient un féminicide tous les trois jours. Depuis le début de l’année, 75 ont été recensés.
En 2015, la France faisait déjà partie des pays européens où les femmes subissent le plus de violences. Parmi ceux qui mettent toutes les données à disposition, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne sont pas en reste.
"Grenelle des violences conjugales"
Face à ce triste constat, associations et collectifs féministes se sont rassemblés samedi 6 juillet, à Paris, pour tirer la sonnette d’alarme et réclamer des mesures immédiates. Le soir même, Emmanuel Macron a reconnu que la République n'avait "pas su (...) protéger" les victimes de meurtres commis par des conjoints ou anciens compagnons, dans un message sur Facebook. Au mea culpa présidentiel s’est ajouté, dimanche, le lancement en septembre d'un "Grenelle des violences conjugales" par le gouvernement. La secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, a également promis qu’"une grande consultation citoyenne et une campagne" de communication sera organisée "pour interpeller toute la société", dans un entretien au Journal du dimanche.
Le "Grenelle des violences conjugales", qui sera introduit par Édouard Philippe et réunira à Matignon ministres, administrations, associations et familles de victimes, s'ouvrira "le 3/9/19, en écho au numéro 3919", la ligne téléphonique consacrée aux femmes victimes de violences, a souligné Marlène Schiappa. Il doit permettre de "construire des mesures encore plus efficaces, au plus près du terrain".
Des annonces qui arrivent trop tard, s’insurgent des collectifs féministes comme #NousToutes : "une réunion dans deux mois et des résultats dans cinq (après l'adoption du budget de l'État). Le décalage entre la mobilisation inédite de la société contre les féminicides et les réponses apportées est flagrant", a fustigé le collectif dans un communiqué intitulé "Monsieur le président, les violences ne prennent pas de vacances".
L’Espagne pionnière
La France accuse en effet un retard considérable, loin derrière l’Espagne, qui fait figure de bon élève en la matière, en Europe. De l’autre côté des Pyrénées, la violence de genre est une grande cause nationale depuis 2003, en partie en raison d’un drame qui a secoué le pays. En 1997, une sexagénaire venue témoigner de son calvaire de femme battue sur un plateau télévisé, est morte 10 jours plus tard brûlée vive par son mari. L’affaire bouleverse l’opinion et une grande réflexion est menée sur le territoire. Depuis, de nombreux dispositifs ont été mis en place par les pouvoirs publics et semblent depuis porter leurs fruits : quelque 76 cas de féminicides ont été recensés en 2008 contre 47 en 2018 grâce à des mesures concrètes.
En France, des mesures jugées insuffisantes
Pour diviser par deux le nombre de féminicides, l’Espagne a, entre autres mesures, mis en place 10 000 téléphones grave danger, qui permettent de joindre un système d’assistance grâce à une touche spéciale, quand la France n’en dispose que de 3 000. "Et encore, des centaines d’entre eux reposent dans des tiroirs parce que certains pensent qu’ils ne sont pas utiles", regrette Floriane Volt, bénévole de la Fondation des femmes, dans un entretien accordé à France 24.
Autre mesure dissuasive, le port du bracelet électronique d’éloignement. Ce dispositif, qui permet d’alerter les forces de l’ordre de la présence de conjoints ou ex-conjoints violents dans un périmètre donné, a également contribué à réduire le taux de mortalité des femmes en Espagne. "La France a également recours à ce type de bracelet, reconnaît Armelle Le Bras-Chopard, politologue et auteure de l’ouvrage 'Les putains du Diable. Procès des sorcières et construction de l'État moderne'. Mais elle en possède deux fois moins qu’en Espagne : c’est tout-à-fait insuffisant."
Enfin, les autorités espagnoles ont mis en place une loi globale avec des magistrats spécialisés dans les cas de violences conjugales. "Les professionnels sont mieux formés dans ce domaine et les délais de procédure sont beaucoup plus courts, ce qui est important dans ce genre de dossier, poursuit Floriane Volt. En Espagne, si une femme retire sa plainte, on considère qu’elle est en danger car on la considère sous emprise, victime de manipulation, et va faire l’objet d’un suivi. En France, dans ce cas similaire, on laisse repartir la plaignante chez elle."
Changement de mentalités
'Il y a un véritable disfonctionnement dans le système judiciaire et policier français, abonde Anne Bouillon, avocate spécialisée en droit des femmes, à Nantes. La moitié des plaintes déposées par des femmes sont refusées par le juge. Et souvent, le juge n’accorde pas l’ordonnance qui permet à une victime de bénéficier d’une protection selon l’article 515-9 du Code civil. S’il reconnaît bien que la violence a été commise, il estime souvent que la violence n'a pas mis la personne en danger, ou que le danger n'est pas suffisant pour justifier une ordonnance de protection, ce qui est complètement paradoxal. Cela n'a aucun sens."
Enfin, il reste à changer les mentalités. "Au XXIe siècle, certains en sont encore à l’idée que la femme est la propriété de l’homme, souligne Armelle Le Bras-Chopard. Et ce n’est pas lié à l’alcoolisme, ce sont surtout les mentalités qu’il faut changer".
Seule bonne nouvelle au tableau, des solutions existent pour endiguer le fléau. Toutes les associations en pointe sur le féminicide sont unanimes sur un point : le Grenelle des violences conjugales doit prendre en compte le maximum d’acteurs et déboucher sur des mesures concrètes. "On ne veut pas d’un colloque, soutient l’écrivaine, il y a urgence, on veut des actes et des moyens".