
Il y a six mois, l'Égypte a entamé une vaste campagne de détection et de traitement de l'hépatite C avec pour objectif d’éradiquer la maladie d’ici 2020. Une prouesse en matière de santé publique qui veut faire oublier un scandale d’État : ce sont les autorités elles-mêmes qui, dans les années 1960, ont inoculé cette maladie aux Égyptiens en voulant combattre la bilharziose, contaminant près de 50% des hommes de plus de 50 ans dans le delta du Nil.
Une gigantesque campagne de dépistage de l'hépatite C mobilise toute l'Égypte depuis six mois. Le but : dépister et soigner une population parmi les plus atteintes au monde. On estime que dans les années 2000, près de 20 % des Égyptiens étaient infectés par le virus de l'hépatite C. Un virus dangereux, car la maladie peut rester silencieuse pendant des décennies et soudainement dégénérer en cirrhose ou en cancer.
Près de 50 millions d'Égyptiens ont jusqu'ici été testés. Les autorités sanitaires espèrent qu'avant fin 2019, plus de 2 millions d'entre eux seront traités.
Il faut dire qu'avec un coût pour le système de santé de plusieurs centaines de milliers d'euros par an, cette maladie était devenue l'une des priorités du gouvernement.
Des traitements ont commencé à être distribués en 2006. Avec l'arrivée sur le marché d'un générique fabriqué en Égypte à un prix défiant toute concurrence, la lutte contre l'hépatite C a considérablement progressé. Le pays est même qualifié de bon élève dans la lutte contre la maladie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
De la bilharziose à l'hépatite C
Mais derrière les apparences de cette prouesse sanitaire se cache une autre réalité bien plus sombre.
Dans les années 1960, la bilharziose, une maladie due à un parasite présent dans le Nil, se répand à travers tout le pays. Les autorités, en pleine euphorie nassérienne, se lancent dans des campagnes de vaccination sans précèdent : on pique à la chaîne... sans aucune stérilisation. Le succès est immédiat : le taux de bilharziose s'effondre, mais génère sans qu'on le sache l'un des plus gros scandales sanitaires contemporains.
Il faudra attendre les années 1990 et la découverte de l'hépatite C pour comprendre que ces campagnes de vaccination contre la bilharziose sont à l'origine d'une transmission massive de la maladie hépatique. L'Égypte affiche alors l'un des taux de contamination les plus importants au monde : des centaines de milliers d'Égyptiens sont concernés. Dans le delta du Nil, près de la moitié des hommes de plus de 50 ans sont touchés. Cancers et cirrhoses sont partout. L'ampleur du cas égyptien est telle qu'il est étudié comme un contre-exemple de médecine préventive dans les universités de médecine étrangères.
Les choses en grand
En réaction, l'État se lance dans une lutte acharnée contre la maladie. Des dizaines de centres de traitement ouvrent à travers tout le pays. En 2014, l'Égypte a même inventé un modèle de coopération inédit avec une grande entreprise pharmaceutique américaine afin de faire baisser le coût du traitement à 800 euros, alors qu'il est parfois facturé plus de 60 000 euros aux États-Unis et en Europe. Une première victoire qui a donné́ aux autorités envie de voir les choses en grand.
En octobre 2018, une campagne de dépistage sans précèdent a donc été́ lancée sur tout le territoire. Les autorités espèrent éradiquer la maladie d'ici 2020. L'OMS estime, quant à elle, qu'il faudra 10 à 15 ans pour faire tomber le taux d'infection en-dessous de 2 %.
Si le combat est déjà̀ bien engagé, il n'est pas gagné́ d'avance. Il reste encore, sur la route de l'éradication, de nombreux obstacles pour faire oublier cette contamination à l'échelle d'une population entière.