logo

Iran, 1979 : David Burnett capture l’Histoire

, envoyée spéciale à Perpignan – En 1979, année de la chute du Shah et du retour de l'ayatollah Khomeini, le photographe américain David Burnett est le témoin d'une période éclair de 44 jours qui change la face de l'Iran. Un reportage entré dans l'Histoire.

Il a les doigts crispés sur le linceul blanc maculé de roses. Malgré la foule compacte qui se presse dans le

cimetière de Behesht-e zahara en ce jour de décembre 1978, l’homme a l’air seul, avec ses larmes et sa douleur. Lui et les autres enterrent un professeur de 27 ans qui s’est fait abattre la veille par l’armée, place du 24 Esfand à Téhéran.

David Burnett a gravé sur pellicule le dernier hommage rendu à cette jeune victime des manifestations qui ont soulevé l’Iran de décembre 1978 à février 1979. Le photographe américain expose au Festival Visa pour l’image "44 jours - L’Iran et la reconstruction du monde", qui revient,  trente ans après, sur le départ du Shah et la révolution islamique.

Boucles blanches en bataille, lunettes haut perchées, Leica en bandoulière, David Burnett parle de la voix réfléchie de l’homme d’expérience. Avec  plus de 40 ans de photos derrière lui, il s’affirme comme l’un des grands noms de la photographie contemporaine. A son actif, entre autres, la guerre du Vietnam à la fin des années 1960, le coup d’Etat de Pinochet en 1973, la famine en Ethiopie en 1984 et la chute du Mur de Berlin en 1989. Et, bien sûr, la révolution islamique d’Iran en 1979.

Saisir l’Histoire en marche

L’Histoire se déroule en clair-obscur. Soulèvements populaires, bus en flammes, meeting politiques à l’université de Téhéran. Mohammad Reza Shah Pahlavi pose aux dernières heures de sa gloire avant qu’une foule en liesse ne célèbre son départ. Le 1er février 1979, l’ayatollah Khomeini fait son retour en sauveur. Entouré de deux hommes de main, le vieillard adulé descend les marches d’un Boeing 747 pour reprendre les rennes du pouvoir. Il est le porteur d’espoir de tout un peuple qui aspire à plus de démocratie. La suite, on la connaît.  


David Burnett est le témoin des 44 jours qui ont changé la face de l’Iran. Ce pays qui avait expérimenté le joug étranger, la monarchie éclairée, l'autocratisme obtus puis la dictature religieuse a vécu en moins de deux mois un changement radical. En mission pour "Time Magazine" au Baluchistan, région du Pakistan, en décembre 1978, Burnett sent qu’il n’est pas là où il devrait se trouver et saute dans le premier avion pour Téhéran : "J’ai eu un sentiment d’urgence. Dès les premiers jours, on se rendait bien compte que ces manifestations n’étaient pas des actes isolés. Toute action devenait politique. […] En décembre, les choses arrivaient à leur paroxysme. Je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds mais j’ai senti qu’il se passait quelque chose d’important. J’étais parti pour deux jours, je suis resté deux mois."

De ces deux mois, il tire un reportage et un livre éponyme (à sortir en octobre 2009 chez Robert Pledge) qui mêle photographie et histoire. "Avec mon éditeur, on voulait que les gens intéressés par cette époque puissent comprendre les événements dans leur dimension chronologique", explique Burnett. Complémentaires, les deux disciplines satisfont un même besoin de mémoire : l’Histoire analyse et les photos se font archives visuelles, sources et  témoignages.

Quand Burnett voit les lycéens prendre studieusement des notes en parcourant son exposition, il ne peut cacher sa joie: "On fait des photos pour les autres. Et, sans que je me sente professeur, c’est génial de voir que le public peut accéder à un pan de l’Histoire grâce à mon travail. Quand je vois ces jeunes avec leur cahier, c’est là que je réalises que mon travail a de la valeur."


"Les vieux appareils sont comme une grosse boîte de bonbons"

Si le goût de l’aventure ne l’a jamais quitté, cela fait près de vingt ans que Burnett a abandonné le terrain des conflits. Depuis son mariage et la naissance de sa fille, il a préféré jouer la sécurité et s’est spécialisé dans la photographie politique. Reagan, Nixon, Carter, Bush, Clinton ou Obama, tous sont passés dans son viseur. Et dans ce domaine où la concurrence est rude, il a su se faire remarquer.


En 2004, il saisit John Kerry en campagne à Las Vegas avec un appareil à soufflet de 1946. Son tripode détonne au milieu des numériques derniers cris. Mais il n’a plus rien à prouver, il fait de la  résistance. "J’ai recommencé à travailler avec de vieux appareils en réaction au numérique qui a envahit le monde à la fin des années 1990. On prend tous les mêmes photos, avec les mêmes appareils et les mêmes focales. Moi, je prends la photo quand je vois qu’elle est bonne dans mon viseur. Pour moi, les vieux appareils sont comme une grosse boîte de bonbons, un bon dessert après un plat principal au numérique."

A Perpignan, il a le numérique dans la poche - "au cas où" - et l’argentique autour du cou. Et si de nombreux photographes "en vacances" à Visa ont laissé l’appareil au placard, Burnett ne lâche jamais le sien. Au bout de 40 ans, la passion est restée intacte et quand il parle des ses premiers tirages, de cette feuille blanche qui prend vie "comme par magie", l’œil de l’adolescence brille encore. Alors quand on lui parle de la fin du photojournalisme, il n’y croit pas. Les réponses sont là, il ne reste plus qu'à les trouver.