Le président chinois Xi Jinping a achevé vendredi une visite en Russie. Moscou veut devenir pour Pékin un partenaire commercial alternatif aux États-Unis. Pour la Chine, la Russie n’est toutefois qu’un pis-aller.
Tandis que le président américain Donald Trump se faisait prendre en photo avec la reine d’Angleterre et distribuait les bons et mauvais points aux remplaçants potentiels de Theresa May comme Premier ministre, les deux principaux adversaires commerciaux des État-Unis se rencontraient à Saint Pétersbourg. Le président chinois Xi Jinping a achevé, vendredi 7 juin, une visite de trois jours en Russie.
Cette rencontre entre l'homme fort de Pékin et celui du Kremlin, Vladimir Poutine, s’est déroulé alors que les États-Unis ont encore renforcé les droits de douanes sur les produits chinois, début mai. À cette occasion, les dirigeants chinois et russe ont répété, vendredi, à quel point ils étaient les champions d’un commerce libre qui s’opposerait à "l’égoïsme économique débridé" de Donald Trump.
Soja et technologie russe
"Pour Vladimir Poutine, le grand enjeu de ce sommet économique de Saint-Pétersbourg était de présenter la Russie comme une alternative commerciale crédible aux États-Unis pour la Chine", explique Jean-François Dufour, directeur du cabinet de conseil DCA Chine-Analyse.
Moscou a tout fait pour montrer à quel point les relations économiques avec Pékin s’étaient améliorées ces dernières années. Selon le Kremlin, les échanges commerciaux entre les deux pays ont progressé de 25 % en 2018 pour dépasser la barre des 100 milliards de dollars pour la première fois.
Les autorités russes ont aussi insisté sur les 20 milliards de dollars de contrats signés à l’occasion du sommet, et le renforcement de la coopération avec la Chine dans les domaines agricoles et technologiques. Deux secteurs stratégiques pour Pékin, qui ont particulièrement souffert de la guerre commerciale avec les États-Unis qui font tout pour compliquer la vie du géant chinois des télécoms Huawei. Pékin a dû se résoudre, en mai, à imposer des droits de douane sur le soja américain, qui était l’un des principaux produits américains d’importation par la Chine.
Moscou a promis de venir à la rescousse de Pékin en augmentant sa production de soja et en mettant sur pied un fond d’investissement commun dédié aux nouvelles technologies qui sera doté d’un milliard de dollars. La Russie a aussi accueilli à bras ouvert Huawei, qui sera chargé de développer le réseau 5G dans le pays.
"Meilleur ami" ou "pis-aller" pour Pékin ?
Xi Jinping a joué le jeu de la relation économique privilégiée en gratifiant son hôte du titre de "meilleur ami" des Chinois et en amenant avec lui une impressionnante délégation de plus de 1 000 responsables et chefs d’entreprise. "C’est vrai qu’il se déplace rarement avec autant de monde, mais il ne faut pas non plus oublier que ce sommet était aussi l’occasion de célébrer les 70 ans des relations économiques sino-russes", souligne Jean-François Dufour.
Mais "la Chine considère la Russie comme un pis-aller, et aussi longtemps que Pékin pourra éviter de trop dépendre économiquement de Moscou, il le fera", affirme cet expert français de l’économie chinoise. Aux yeux de Pékin, la Russie reste, en effet, un nain économique puisque "la Chine exporte dix fois plus vers les États-Unis que vers la Russie", rappelle Jean-François Dufour. Xi Jinping sait que s’il met trop d’œufs dans le panier russe, il risque de contrarier encore davantage Washington, le principal adversaire géopolitique de Moscou.
En outre, la Russie ne peut aider la Chine à atteindre son objectif de devenir la première puissance high-tech mondiale. Si le contrat décroché par Huawei va mettre du baume au cœur des dirigeants chinois, leur but premier "n’est pas de vendre leurs technologies aux autres, mais d’en acquérir des nouvelles grâce à des partenariats avec des entreprises de pointe", souligne l’économiste. La Russie est, à ce titre, beaucoup moins intéressante que les États-Unis ou les pays européens.
Le seul domaine où la Chine se montrent intéressés par le savoir-faire russe est l’aéronautique. Les deux pays développent un avion de ligne long-courrier ensemble, le CRAIC C929, censé concurrencer Boeing et Airbus à partir de 2023. Mais c’est loin d’être suffisant pour constituer une alternative à ce que les Chinois peuvent apprendre au contact des Américains.
Vladimir Poutine : le joker de Xi Jinping
Pour Jean-François Dufour, la Russie "est une alternative crédible aux États-Unis uniquement pour la fourniture d’énergie". Pékin est d’ailleurs étroitement associé au mégaprojet gazier Yamal LNG en Sibérie. La Chine détient 20 % de ce site qui doit devenir fin 2019, sauf possibles retards, l’un des plus importants centre de production de gaz naturel liquéfié.
Pour le reste, Xi Jinping considère que la Russie représente surtout, sur le plan économique, un autre maillon dans la chaîne des greniers à grain que la Chine essaie aussi de se constituer en Asie (Malaisie) ou encore en Amérique du Sud (Brésil).
Cependant, de par son poids géopolitique, la Russie présente un avantage sur les autres alliés économiques de Pékin en ces temps de conflit commercial. Si Vladimir Poutine n'est peut-être pas le "meilleur ami" de Xi Jinping, il pourrait devenir son meilleur atout dans les négociations avec les Américains. Le dirigeant chinois pourrait brandir la menace d'un alignement plus général avec Moscou ce qui "représente une menace bien plus importante pour Washington que le renforcement des liens économiques", assure Jean-François Dufour. Un axe sino-russe pourrait considérablement compliquer la tâche de Donald Trump dans d’autres dossiers comme le Venezuela, l’Iran ou encore la Syrie.