Parmi les 12 ressortissants français jugés pour appartenance à l’organisation État islamique en Irak, sept ont été condamnés à de la prison à perpétuité. Depuis Paris, les avocats cherchent à faire suspendre la peine capitale.
Les avocats des jihadistes français condamnés à mort en Irak, au mois de mai, pour appartenance à l'organisation État islamique (OEI) se lancent dans une course contre la montre pour éviter une exécution par pendaison et tenter de commuer la condamnation en peine de prison. La première étape pour les avocats est d’empêcher une exécution rapide de la peine capitale.
"On souhaite contester la condamnation à la peine de mort et en Irak l'appel est suspensif. Donc en interjetant appel de la décision, l'exécution sera suspendue", a déclaré Me Nabil Boudi à propos de ses trois clients, sur la chaîne CNews, jeudi 30 mai. "L'urgence est absolument de bloquer cette exécution." L’avocat de Léonard Lopez, Bilel el-Kabaoui et Brahim Nejara souhaite "se rendre à Bagdad, les rencontrer et préparer la suite ensemble (...) Nous attendons la fin du procès pour pouvoir interjeter appel, que tous soient jugés", a ajouté l’avocat.
Nabil Boudi, avocat des jihadistes français condamnés à mort en Irak : «Il y aura un appel, il est essentiel (…) l’urgence est de bloquer les exécutions» pic.twitter.com/VzUomymD4d
CNEWS (@CNEWS) 30 mai 2019Les sept Français déjà condamnés – Brahim Nejara, Karam el-Harchaoui, Kévin Gonot, Léonard Lopez, Salim Machou, Mustapha Merzoughi et Yassine Sakkam – ont un mois pour faire appel. Au total, 12 ressortissants français sont jugés depuis le début de la semaine en Irak.
Paris pris en tenaille
"Il ne faut pas que les Irakiens prennent mal une intervention de la France et exécutent en 48 heures les condamnés pour s'en débarrasser", souligne-t-on de source proche des autorités françaises. Depuis 2018, l'Irak a condamné plus de 500 étrangers de l'OEI – hommes et femmes –, mais aucun de ceux ayant écopé de la peine capitale n'a jusqu'ici été exécuté.
La France, comme d'autres États, se trouve dans la contradiction de refuser à la fois le jugement de ses ressortissants affiliés à l'OEI sur son propre sol, tout en rejetant "par principe" l’application de la peine de mort, prévue par la loi irakienne pour quiconque a rejoint une organisation "terroriste", qu'il ait ou non combattu.
Officiellement donc, l’État français a réitéré sa confiance dans la justice irakienne. Le ministre français des Affaires étrangères a estimé, mercredi, devant l’Assemblée nationale que les procès de ces Français jihadistes sont "équitables". La diplomatie française marche de toute évidence sur des œufs pour ne pas braquer des autorités irakiennes sourcilleuses quant au respect de leur souveraineté.
Human Rights Watch critique ce positionnement des autorités françaises et a appelé Paris, vendredi 31 mai, à ne pas "sous-traiter la gestion" des djihadistes français présumés "à des systèmes judiciaires abusifs". HRW rappelle que "les graves lacunes des procès irakiens, dont la torture, sont bien documentées".
Dans le même temps, le Quai d’Orsay cherche, par des moyens diplomatiques, à éviter l’application de la peine de mort contre des citoyens français. "Il est clair que, pour nos ressortissants pour lesquels la peine de mort sera prononcée, nous demanderons à ce qu’elle soit commuée en prison à perpétuité", a ainsi déclaré Emmanuel Macron, lors d'une conférence de presse.
La prison à perpétuité, monnaie d’échange
Or les autorités irakiennes auraient tout intérêt à profiter de cette situation inconfortable pour les puissances occidentales, estime Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste du jihadisme : "Ces ressortissants étrangers vont très probablement servir de levier de négociation par les autorités irakiennes. Il ne serait pas étonnant de voir l'Irak marchander des compensations financières en échange de leur maintien en prison."
L’argumentaire avait déjà été développé par plusieurs sources officielles irakiennes, début avril, dans des entretiens accordés à l’AFP. Bagdad se réserve ainsi le droit de réclamer "plus d’argent pour couvrir les frais engendrés par la détention", avait alors indiqué à l’AFP un responsable gouvernemental sous le couvert de l’anonymat.
"Les coûts opérationnels" avoisinent les deux milliards de dollars, si l’on se base sur le précédent de la prison américaine de Guantanamo, avait précisé un autre responsable, également sous le couvert de l’anonymat. Les pays d’origine de ces jihadistes présumés "ont un problème, nous avons une solution", avait-il résumé, alors que de très rares pays en ont rapatrié pour les juger, tant la question de leur retour est sensible pour les opinions publiques.
Avec AFP et Reuters