logo

John Bolton, le conseiller de Donald Trump "obsédé par la menace iranienne"

Pour nombre d’experts et de médias américains, l'ombre de John Bolton, le conseiller néoconservateur de Donald Trump, plane au-dessus de la brusque dégradation de la situation dans le Golfe, où la tension est vive entre les États-Unis et l'Iran.

La tension entre l'Iran et les États-Unis reste très vive, deux semaines après l'annonce du renforcement en cours de la présence militaire américaine au Moyen-Orient en réponse à des "menaces" iraniennes, et des incidents dans le Golfe. Le président américain Donald Trump , de son côté , multiplie les sorties contradictoires, se disant prêt au dialogue avec la République islamique, tout en lançant des menaces très explicites contre Téhéran. "Si l'Iran veut se battre, ce sera la fin officielle de l'Iran. Ne menacez plus jamais les États-Unis !", avait-il tweeté, le 19 mai.

If Iran wants to fight, that will be the official end of Iran. Never threaten the United States again!

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 19 mai 2019

Pour tenter d'expliquer la brusque dégradation de la situation, déjà fragilisée après la décision du président américain, en mai 2018, de sortir unilatéralement son pays de l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien, de nombreux médias américains pointent du doigt les incohérences de l'administration Trump, mais aussi l'influence d'un homme : John Bolton, le bouillant conseiller à la sécurité nationale à la Maison Blanche.

Suspecté de chercher à provoquer les Iraniens pour les pousser vers une confrontation militaire, John Bolton, souvent qualifié de "faucon parmi les faucons" ou encore de "diable ultra-conservateur", a des idées et des positions très tranchées sur l'Iran. Depuis plusieurs décennies, cet ancien membre du cercle néoconservateur qui entourait le président George W. Bush au début des années 2000, affiche une constance dans ses idées qui visent toutes à provoquer un changement de régime à Téhéran.

"Célébrer la chute du régime iranien avant 2019"

Une rhétorique guerrière maintes fois martelée par John Bolton ces dernières années, avant son entrée à la Maison Blanche en avril 2018, dans ses discours rémunérés, ses écrits et ses interventions télévisées sur Fox News, la chaîne d'informations favorite du chef de l'État américain. En 2015, dans une tribune publiée par le New York Times, il avait écrit que "pour arrêter l a bombe i ran ienne , bombarde z l'Iran", au moment où l'administration Obama participait aux négociations sur le nucléaire iranien, avec d'autres grandes puissances.

En 2017, il avait promis lors d'une conférence organisée à Paris par l'Organisation des Moudjahidine du peuple iranien (OMPI), un mouvement d'opposition honni par la République islamique, un temps inscrit sur les listes terroristes des États-Unis et de l'Union européenne, de "célébrer la chute du régime iranien à Téhéran avant 2019".

#JohnBolton 8 months ago among MEK supporters tells them they will overthrow #Iran’s regime and celebrate in #Tehran with Bolton himself present, “before 2019” pic.twitter.com/H7oaaU3faU

  Bahman Kalbasi (@BahmanKalbasi) 22 mars 2018

Fin 2018, John Bolton avait semé le trouble au sein du Pentagone lorsqu'il avait demandé au Département de la défense de préparer des plans pour une opération militaire contre l'Iran. Plus récemment cette année, le 11 février, à l'occasion du quarantième anniversaire de la révolution islamique iranienne, John Bolton s'en est directement pris au guide suprême iranien. Dans une vidéo postée sur le compte Twitter de la Maison Blanche, l'ancien avocat diplômé de Yale avait notamment accusé Ali Khamenei de continuer à chercher à doter son pays d'armes nucléaires. "Je ne pense pas que vous fêterez un autre anniversaire", lui avait-il lancé.

"Il y a une certaine inquiétude aujourd'hui à cause d'un discours va-t-en-guerre extrêmement belliqueux, et il faut noter un partage d'intérêts entre un certain nombre de leaders des pays de la région, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et en Israël, et l'administration Trump, qui a renoué avec la rhétorique anti-iranienne qui datait de l'époque du président George W. Bush, et qu'incarne, pour ne citer que lui, John Bolton, qui est obsédé par la menace iranienne", explique à France 24 Karim Sader, politologue et consultant spécialiste du Golfe.

A message to the Ayatollah of Iran: "For all your boasts, for all your threats to the life of the American President, YOU are responsible for terrorizing your own people." #40YearsofFailure pic.twitter.com/gpCL1FeLis

  The White House (@WhiteHouse) 11 février 2019

Déjà, au moment de son entrée en fonction à la Maison Blanche, à un poste aussi stratégique dans la mise en œuvre de la politique étrangère des États-Unis, les experts craignaient l'influence de cet homme réputé belliqueux, artisan et grand défenseur de l'invasion de l'Irak en 2003, sur leur imprévisible chef d'État. Paradoxalement, Donald Trump affiche un profil résolument non interventionniste (il avait promis pendant sa campagne de désengager les États-Unis de la région), alors que son conseiller aux fines lunettes et à la moustache épaisse est un unilatéraliste partisan de la guerre préventive.

Mais la tournure des événements au Moyen-Orient semble indiquer que l'influence de John Bolton, 70 ans, est grandissante. D'autant plus que, selon les médias américains, le conseiller parvient à propager ses idées au sein de la Maison Blanche en profitant du vide laissé par James Mattis, qui a démissionné avec fracas de son poste de secrétaire à la Défense fin décembre. Son successeur, le très discret intérimaire Patrick Shanahan, attend toujours que sa nomination définitive soit confirmée par le Sénat.

Dans un communiqué publié sur le site de la Maison Blanche, John Bolton a été le premier à annoncer, le 5 mai, l'envoi du porte-avions USS Abraham Lincoln et de bombardiers B-52 dans le Golfe en guise de mise en garde "claire et sans équivoque au régime iranien". Et ce, "en réponse à un certain nombre d'indications et d'avertissements inquiétants" rapportés par les services américains, et dont le contenu n'a pas été rendu public.

Le 13 mai, le New York Times révélait qu'un plan militaire consistant à envoyer 120 000 soldats au Moyen-Orient pour contrer l'Iran avait été présenté lors d'une réunion confidentielle par le Pentagone aux principaux conseillers à la sécurité nationale de Donald Trump, et ce, à la demande de John Bolton. Une fuite qui a provoqué le courroux du président américain, qui a démenti à sa manière l'existence d'un tel projet et dénoncé des infox. "Est-ce que je pourrais le faire ? Absolument. Mais nous ne l'avons pas planifié. Espérons que nous n'ayons pas à le planifier. Si nous devions le faire, nous enverrions beaucoup plus d'hommes que ça", a-t-il dit à des journalistes à la Maison Blanche.

Une influence qui inquiète à Washington

"Connaissant Bolton, ça ne m'étonnerait pas qu'il soit en train de tenter de fabriquer une crise de toutes pièces", a déclaré à l'AFP Barbara Slavin, du groupe de réflexion Atlantic Council. "Je ne pense pas que cela déplaise au président d'avoir l'air dur et d'augmenter la pression sur l'Iran."

Malgré la poussée de fièvre moyen-orientale, en coulisses, l'administration et les diplomates américains assurent cependant que les États-Unis ne cherchent pas à provoquer un conflit avec l'Iran. La stratégie du président américain, qui privilégie souvent une approche musclée lorsqu'il s'agit de négocier, consist e à imposer à l'Iran de sévères sanctions pour asphyxier son économie, et ainsi l'obliger à discuter d'un nouvel accord plus contraignant. "S'ils appellent, bien sûr nous négocierons, mais cela dépend d'eux", a insisté le président américain, lundi soir.

"Le retour au régime des sanctions et aux menaces est pourtant contreproductif avec l'Iran, c'est même le meilleur moyen de renforcer le pouvoir et de souder sa frange la plus radicale", prévient Karim Sader.

Après la pression et la guerre des mots, la diplomatie ? Décrit comme "coriace" par l'ancienne chef de la diplomatie américaine Condoleezza Rice, John Bolton, éphémère ambassadeur des États-Unis à l'ONU entre 2005 et 2006, entretient une certaine aversion pour la diplomatie. Il ne croit qu' à la paix par la guerre.

"John est très bon. John a une vision très dure des choses mais ça va", a récemment déclaré Donald Trump devant la presse. En fait, c'est moi qui modère John, ce qui est assez incroyable". Et d'ajouter : "J'ai John, et j'ai d'autres gens qui sont davantage des colombes que lui. Et in fine, je prends les décisions."

L'influence attribuée à John Bolton inspire toutefois une méfiance jusque dans les rangs républicains. Le sénateur conservateur affilié aux républicains Rand Paul a dit craindre la semaine dernière à propos du conseiller ultra-conservateur "qu'il soit nocif , qu'il ait une mauvaise influence sur l'administration". Et d'ajouter : "Je pense que le plus important est d'informer le gouvernement qu'il n'a pas l'autorisation du Congrès d'aller faire la guerre à l'Iran et nous devons nous assurer que nous ne sommes pas impliqués dans quoi que ce soit de suffisamment provocateur qui puisse encourager une escarmouche et aboutir in fine à une plus grande guerre".

Après avoir été mis à l'index dans la crise au Venezuela, Donald Trump ayant reproché à son conseiller, selon le Washington Post, son interventionisme et de l'avoir induit en erreur sur la possibilité de renverser aussi rapidement que facilement le président Nicolas Maduro, John Bolton joue gros. Au point de risquer d'embraser le Moyen-Orient ?