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Gilets jaunes : après six mois d'existence, le bilan d'un mouvement inédit

Le mouvement des Gilets jaunes entame son septième mois d’existence. À l'occasion de la 27e journée de mobilisation, France 24 dresse le bilan de ce mouvement aussi inédit qu'inclassable.

Beaucoup pensaient que le mouvement ne durerait qu'une à deux semaines, un mois tout au plus. Six mois après la première mobilisation du 17 novembre, les Gilets jaunes sont toujours là. Même si au fil des samedis, la mobilisation s'est érodée. Massive à ses débuts, la vague jaune comptant près de 300 000 manifestants affublés d'un gilet fluo dans les rues et les ronds-points de l'Hexagone lors des premiers rassemblements, n'a réuni que 18 600 Gilets jaunes le 11 mai.

Né sur les réseaux sociaux d'une exaspération contre une hausse du prix du carburant, le mouvement de contestation demeure inédit à bien des égards. "Même après six mois de contestation, ce mouvement reste impalpable, inclassable, pour tout dire mystérieux", analyse Christian Delporte, historien contemporain à l'université de Versailles, dans un entretien à France 24.

"Jusque là, les conflits sociaux étaient identifiables parce qu'ils partaient de structures professionnelles, d'université ou de collectifs avec des délégués qui relayaient une à deux revendications, poursuit l'enseignant. Mais ce mouvement, qui n'est ni de droite, ni de gauche, composé de cadres, d'ouvriers, de petits patrons, ne répond à l'appel d'aucune organisation et n'est relayé par aucun représentant."

  Agence France-Presse (@afpfr) 17 mai 2019

Une fronde marquée par des violences

Il y a bien des chiffres qui peuvent donner un rapide aperçu du mouvement. En six mois de fronde, le mouvement est comptable d'un lourd bilan humain. Il a coûté la vie à onze personnes (une minorité d'entre elles se revendiquant des Gilets Jaunes), principalement victimes d'accidents de la route, et 2 448 personnes ont été blessées, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur arrêtés au 13 mai. Les forces de l'ordre n'ont pas non plus été épargnées, puisque 1 797 blessés ont été recensés par le ministère de l'Intérieur, principalement des policiers ou des gendarmes, et quelques pompiers.

Les forces de l'ordre, éprouvées par la durée et l'ampleur de la contestation, ont également effectué quelque 12 107 interpellations, qui se sont soldées par 10 718 gardes à vue, selon les chiffres du gouvernement publiés début avril. Près de 2 000 condamnations ont été prononcées (dont 40 % étaient de la prison ferme) et autant d'affaires classées sans suite, selon la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Policiers et gendarmes, critiqués pour leur usage excessif de la force, ont tiré 13 905 balles de LBD, selon les chiffres de l'Intérieur publiés fin mars. Et l'IGPN, la "police des polices" a ouvert 256 enquêtes pour des violences policières présumées.

Une colère à 4 milliards d'euros

La fronde a également causé beaucoup de casse. Entre les voitures brulées, mobilier urbain saccagé, et les rideaux de fer des magasins fermés, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a chiffré le coût des manifestations à 4 milliards d'euros, soit 0,2 point de croissance. La Fédération française de l'assurance (FFA) a pour sa part estimé que les violences avaient coûté près de 200 millions d'euros aux assureurs.

Au-delà des violences, les Gilets jaunes ont surtout réussi à faire plier le gouvernement sur de nombreux points. Ébranlé par l'ampleur de la contestation, Emmanuel Macron s'est exprimé à deux reprises, pour tenter d'apaiser les tensions. Le 10 décembre d'abord, le chef de l'État a annoncé en direct de l'Élysée la supression de la taxe carbone, la hausse du Smic ou encore la défiscalisation des heures supplémentaires. Puis le 25 avril 2019, le président a donné la première conférence de presse de son quinquennat à l'issue du grand débat national pour annoncer, cette fois, la réforme de la fonction publique et une baisse de l'impôt sur le revenu. Comble de l'histoire, le prix du carburant a lui augmenté depuis le début de la crise des Gilets jaunes.

La fronde de la France oubliée

Le mouvement a surtout marqué les esprits par son exceptionnelle durée, son ampleur et le caractère atypique de son origine. La colère émane "d'un sentiment d'insécurité sociale, la crainte d'un déclassement", croit savoir Christian Delporte. Le mouvement n'est par ailleurs pas parti "des grandes métropoles mais a davantage pris dans les zones rurales et sub-rurales, celle de la France oubliée".

Autre données moins chiffrables, "il semble que le mouvement ait drainé de nombreuses analyses peu pertinentes, voire totalement fausses, ce mouvement par son caractère inédit a mis les politiques, journalistes, chercheur dans l'embarras, incapables de le comprendre et de qualifier et fait dire beaucoup de bêtises", estime l'historien.

Un mouvement franco-français

Une chose est sûre, le mouvement n'a pas réussi à passer les frontières. Si quelques tentatives ont franchi la Méditerranée, notamment en Égypte où des Gilets jaunes ont été retirés des commerces pour étouffer les craintes d'une fronde similaire, aucune contestation semblable n'a tenu bon hors de la France. "D'abord parce que les revendications comme la limitation des 80 km/h, les impôts sur le revenu, sont des spécificités franco-françaises", considère Christian Delporte. Mais aussi parce "l'internationalisation d'un mouvement exige des ressources", explique Samuel Hayat, politiste, dans un article de Mediapart. Pour exporter une mobilisation, il faut un réseau. Et puis "pour imiter un mouvement, mieux vaut qu'il soit victorieux".

Reste à savoir si le mouvement va perdurer. Les chiffres recensés des dernières mobilisations témoignent de l'essoufflement du mouvement. Et il n'est pas certain que les trois listes affiliées au mouvement des Gilets jaunes présentées aux élections européennes récoltent beaucoup de suffrages. Mais les réformes annoncées à la rentrée pourraient bien relancer la grogne populaire dans les rues et les ronds-points.

Pour l'heure, il est "difficile de dire si le mouvement va laisser une trace dans l'histoire, juge Christian Delporte. Il est encore trop tôt pour le dire, mais on peut d'ores et déjà penser que cette contestation a marqué le quinquennat d'Emmanuel Macron."