Au Venezuela, les regards se tournent depuis le 30 avril vers l'opposant Leopoldo Lopez. Ce dissident "superstar", libéré de son assignation à résidence par des militaires ayant fait défection, fera-t-il de l’ombre à Juan Guaido ?
Au petit matin du 30 avril, jour de l’"Opération Liberté" lancée par l’opposant vénézuélien Juan Guaido, un groupe de militaires, aidés par le chef des renseignements, se rend au domicile du prisonnier politique le plus important du Venezuela pour le libérer de son assignation à résidence. Condamné en 2014 par le régime à plus de 13 ans de réclusion, Leopoldo Lopez émeut les anti-Maduro en postant dès 8 heures du matin une photo sur Twitter, où il apparaît aux côtés de Juan Guaido et où il appelle l’armée et la population à "conquérir la liberté".
Trois jours plus tard, alors que l’insurrection voulue par Juan Guaido semble avoir échoué, on le retrouve dans la résidence de l’ambassadeur d’Espagne à Caracas. "Nous avons ouvert une brèche et cette brèche va finir par faire céder la digue" dit-il à un groupe de journalistes, devant lesquels il refuse de parler de maladresses ou d’un échec de l’opération visant à renverser Nicolas Maduro. "Le 30 avril n’est que le début d’un processus irréversible (…) où rien n’a été improvisé", ajoute-t-il, promettant un changement politique "dans quelques semaines".
Venezuela: ha iniciado la fase definitiva para el cese de la usurpación, la Operación Libertad. He sido liberado por militares a la orden de la Constitución y del Presidente Guaidó. Estoy en la Base La Carlota. Todos a movilizarnos. Es hora de conquistar la Libertad. Fuerza y Fe pic.twitter.com/Awm6P09ZM0
Leopoldo López (@leopoldolopez) April 30, 2019Coup de bluff ou derniers mots avant l’assaut ? Le dissident harangue en tout cas ses troupes comme le fait depuis quelques mois Juan Guaido, qui à en croire certaines sources, deviendrait de plus en plus encombrant pour les États-Unis, principal parrain de l’opposition au Venezuela. Trop hâtif, trop inexpérimenté, Juan Guaido aurait mis en échec l’"Opération Liberté". Opération que Leopoldo Lopez affirme, par ailleurs, avoir orchestré depuis son domicile : "Là-bas, j’ai rencontré des commandants, des généraux, des membres des forces armées et ensemble nous nous sommes engagés à faire cesser l’usurpation de pouvoir (par Nicolas Maduro)", avance-t-il, lors de sa conférence de presse le 2 mai.
"Certains le qualifient de 'Nelson Mandela' vénézuélien"
Au-delà d’un éventuel rôle de négociateur avec le régime, Leopoldo Lopez a beaucoup pesé dans le déclenchement de la tentative d’insurrection du 30 avril. "Au Venezuela, l’opposition a construit une figure mythologique autour de sa personne et un discours politique très mobilisateur", explique Thomas Posado, spécialiste de la politique vénézuélienne à l’Université Paris VIII, interrogé par France 24. "Son image est extrêmement forte dans le pays mais aussi à l’étranger", souligne-t-il. Même des tee-shirts à l’effigie de Leopoldo Lopez se vendent en ligne.
Pour Juan Guaido, inconnu de la communauté internationale jusqu’en janvier 2019, puis reconnu peu à peu comme président par intérim par une cinquantaine de chefs d’État, Leopoldo Lopez est un mentor. Tous deux ont évolué au sein de leur parti de droite Voluntad Popular (VP), considéré comme l’un des plus radicaux de l’opposition au président Nicolas Maduro. Mais Leopoldo Lopez a un long passé d’actions antichavistes. L’ancien maire de la municipalité de Chacao, un quartier huppé de Caracas, issu d’une famille bourgeoise aujourd’hui exilée en Espagne, avait été désigné par le gouvernement vénézuélien comme l’un des responsables du coup d’État déjoué contre Hugo Chavez en 2002.
"En 2014, lors d’un épisode de sanglantes manifestations connu comme 'La Salida' (La Sortie), Leopoldo Lopez était le chef d’une guérilla urbaine, d’une opposition prête à se rendre sur le champ de bataille", rappelle Julien Rebotier, chercheur au CNRS et co-auteur de l’ouvrage "Le Venezuela au-delà du mythe", contacté par France 24. "Dans le paysage éclectique de l’opposition, il joue le rôle du belliqueux."
Un rôle qui lui vaut sa condamnation à plus de 13 ans de prison, muée en assignation à résidence dès 2017, et l'"élève au rang de martyr de l’opposition", précise pour sa part Thomas Posado, qui ajoute : "Certains dissidents lui sont si dévoués qu’ils le qualifient même de 'Nelson Mandela' vénézuélien".
@ChinoyNacho se ponen la camisa de la LIBERTAD para @leopoldolopez ¡Dios bendiga a nuestra Vzla! #GritoPorLaLibertad pic.twitter.com/woVvU4w4Xz
Luis Florido (@LuisFlorido) 21 février 2016L'opposition à Maduro fragmentée et fatiguée
Avec l’entrée en vigueur de nouvelles sanctions américaines sur le pétrole, qui vont accentuer l’asphyxie économique au Venezuela, la rue suivra-t-elle l’opposant fortuné Lopez ou le fils de famille modeste Guaido ? "Ni l’un ni l’autre", estime Julien Rebotier, "il ne faut pas sous-estimer les divisions parmi ceux qui s’opposent au gouvernement. D’un côté, il existe des franges anti-Maduro plus modérées qui voient dans le parti Voluntad Popular de Lopez et Guaido un mouvement trop radical et non représentatif de l’opposition dans son ensemble. De l’autre, il y a une grande fatigue et une lassitude dans la population à cause de la crise économique."
Pour le régime de Nicolas Maduro en revanche, la liberté de Leopoldo Lopez semble plus dangereuse que celle de Juan Guaido. À ce jour, ce dernier n’a pas été inquiété pour sa tentative de coup d’État alors que Lopez est visé par un mandat d’arrêt suite à sa libération le 30 avril. Depuis, il séjourne dans la résidence de l’ambassadeur espagnol, "en qualité d’invité" dit-on, et non de demandeur d’asile.
Mais selon Thomas Posado, si le dissident "superstar" a joué un rôle important lors de la préparation de l'"Opération Liberté", "il ne restera par la suite qu’une figure symbolique, car l’impossibilité de sortir de l’ambassade lui enlève son pouvoir mobilisateur". Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Josep Borrell, a indiqué qu’il ne tolèrerait pas que l’ambassade "se transforme en un centre d’activisme politique".
Juan Guaido a, pour lui, la reconnaissance internationale qui empêche le régime de l’appréhender.