
Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution accentuant la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits. Mais les États-Unis ont vidé le texte de sa substance.
L'Allemagne a négocié mardi 23 avril avec ses 14 partenaires du Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution accentuant la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits, mais s'est heurtée à une très forte résistance notamment des États-Unis.
Au milieu d'un débat sur les violences faites aux femmes, un vote a été organisé sur ce texte après d'ultimes négociations ardues et de nouveaux retraits de mentions dans le texte. Treize pays ont voté en faveur du texte, la Russie et la Chine s'abstenant.
Les prix Nobel de la Paix 2018 congolais Denis Mukwege et yazidie Nadia Murad, ainsi que l'avocate libano-britannique Amal Clooney, ont notamment participé à ce débat.
"Pas une seule personne n'a été traduite en justice pour esclavage sexuel", a dénoncé Nadia Murad en évoquant sa communauté détruite par le groupe jihadiste État islamique (OEI) en Irak et Syrie. "Les espoirs d'une génération entière ont été détruits", a-t-elle ajouté, évoquant un "échec collectif" de la communauté internationale. "Nous prononçons des discours à l'ONU mais aucune mesure concrète ne suit" en matière de justice et "rien n'a été fait", a-t-elle insisté.
"Qu'attend la communauté internationale pour rendre justice aux victimes ?" s'est aussi interrogé Denis Mukwege, en demandant lui aussi l'établissement de tribunaux nationaux ou internationaux dédiés au jugement des coupables de violences sexuelles dans les conflits.
"Si nous n'agissons pas maintenant, il va être trop tard", a déclaré Amal Clooney, avocate de Nadia Murad et d'autres victimes yazidies, en évoquant la détention actuelle de milliers de combattants de l'OEI. "Nous faisons face à une épidémie de violences sexuelles" et "la justice est l'antidote", a insisté l'avocate.
"Nous sommes consternés"
La résolution a été adoptée, mais après amputation de nombreuses mentions à la demande des États-Unis. "Des concessions importantes ont été accordées sous la pression de plusieurs membres permanents qui n'ont pas permis au texte d'aller aussi loin que nous l'aurions souhaité", a ainsi dénoncé l'ambassadeur français à l'ONU, François Delattre.
"Nous sommes consternés par le fait qu'un État ait exigé le retrait de la référence à la santé sexuelle et reproductive pourtant agréée" dans de précédentes résolutions en 2009 et 2013, a-t-il expliqué.
"Tout sera édulcoré pendant longtemps"
Depuis plus d'une semaine, Washington s'est en effet efforcé de gommer dans le texte les mentions relatives aux femmes tombant enceintes après un viol, afin de ne pas favoriser les avortements. Selon des diplomates, l'opposition de l'administration conservatrice de Donald Trump a été déterminante pour empêcher un consensus à ce sujet.
"Si nous laissons les Américains supprimer ce vocabulaire, tout sera édulcoré pendant longtemps" , s’était ainsi inquiété un diplomate européen dans les pages du Guardian. Selon ce dernier, "les Américains ont changé de camp" et se trouvent à présent dans une alliance " contre-nature avec les Russes, le Vatican, les Saoudiens et les Bahreïnis, balayant les progrès qui ont été faits" .
Une position partagée par François Delattre. "Nous déplorons que des menaces de veto aient été agitées par des membres permanents de ce Conseil pour contester 25 ans d'acquis en faveur des droits des femmes dans des situations de conflits armés", a insisté le diplomate.
"Il est inexplicable que l'accès à la santé sexuelle et reproductive ne soit pas explicitement reconnu aux victimes de violences sexuelles, elles qui sont souvent la cible d'atroces exactions et de mutilations barbares", a ajouté François Delattre. Alors que les "victimes ont de toute évidence besoin de ces soins", "cette omission est inacceptable et porte atteinte à la dignité des femmes", a-t-il insisté.
"De même, il est intolérable et incompréhensible que le Conseil de sécurité soit incapable de reconnaître que les femmes et les filles qui ont subi des violences sexuelles en temps de conflit et qui n'ont évidemment pas choisi d'être enceintes, ont le droit d'avoir le choix d'interrompre leur grossesse", a-t-il également dit.
Un mécanisme d'alerte
La Russie était de son côté opposée à la création d'un "mécanisme" onusien permettant de contribuer à poursuivre des auteurs présumés d'abus sexuels, selon un diplomate.
La France avait poussé le 6 avril le groupement des sept pays les plus industrialisés de la planète (G7) à se mobiliser contre les violences sexuelles dans les conflits, via la création d'un mécanisme d'alerte en cas de viols de masse utilisés comme arme de guerre.
Ce mécanisme "permettrait de faire remonter assez rapidement des situations de viol de masse, les signaler, les dénoncer à la communauté internationale et de déclencher un mécanisme de preuves immédiates", selon une source diplomatique française.
Avec AFP