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À Venise, Joël Andrianomearisoa veut mettre Madagascar en lumière

L’artiste plasticien malgache, spécialiste d’art conceptuel, représentera Madagascar, qui participe pour la première fois à la 58e édition de la Biennale de Venise, du 11 mai au 24 novembre 2019.

Après la Côte-d'Ivoire, le Mozambique, le Zimbabwe... Madagascar participera pour la première fois à la Biennale de Venise, la plus grande foire mondiale d’art contemporain, qui s’ouvre le 11 mai prochain. Depuis 2015, la manifestation s’est ouverte à l’Afrique sous l’impulsion du commissaire nigérian Okwui Enwezor, premier Africain à diriger la foire.

Aux côtés du Ghana présent à Venise – également pour la première fois – avec Ibrahim Mahama ou encore le célèbre architecte ghaneo-britannique David Adjayé, Madagascar sera représenté par Joël Andrianomearisoa, artiste plasticien à la renommée internationale. "Ce sont des émotions de joie, de la fierté mais aussi des doutes et de l’incertitude qui m’animent", affirme l’artiste rencontré dans son atelier du 14e arrondissement de Paris. "Monter un pavillon à la Biennale de Venise ne présente pas qu’un enjeu artistique. Il y a aussi un enjeu économique et diplomatique. L’idée est de prouver que Madagascar existe et que mon pays peut participer à un événement pareil."

Les œuvres de Joël Andrianomearisoa, 41 ans, ont été exposées dans les plus grandes galeries et institutions culturelles du monde, comme le Maxxo à Rome, le Hamburger Bahnhof à Berlin, la Smithsonian à Washington ou le Centre Pompidou à Paris. Mais passer par Venise reste un tournant dans la carrière d’un artiste. "C’est un point qui est marqué. Pour moi, Venise n’est pas une finalité, un accomplissement, mais un point de départ. Que se passera-t-il après ? C’est ce qui est important pour moi", explique, sans fausse modestie, l’artiste qui vient de participer à la grande foire d’art contemporain Art Basel de Hong-Kong.

"Artiste multimédia"

L’art de Joël Andrianomearisoa est singulier. L’artiste conçoit des formes à travers lesquelles il fait parler les émotions. Tout ce qui a d’universel selon lui. "Je traite plus des thématiques qui sont de l’ordre de la sentimentalité. Je parle de la mélancolie, de la tristesse, du désir. Ce sont des choses extrêmement complexes qui sont dans nos cœurs, qui ne sont pas palpables mais très universelles. Je suis toujours dans une quête permanente de la matérialisation des émotions."

Et quoi de mieux que d’exprimer cette universalité à travers le papier et surtout le textile, sa matière de prédilection. Des feuilles aluminium de boîtes de cigarettes retrouvées dans une usine désaffectée au Bénin, des rideaux collectés en Italie ou encore des bouts de tissus récupérés au Mali... Tout y passe. "Le textile est un médium universel. On le retrouve dans toutes les cultures, des États-Unis à l'Australie. Il est aussi très présent dans la culture africaine. Il nous définit. C’est une matière chargée d’émotion. On pleure dans un mouchoir et on s’essuie la bouche avec une serviette", explique l’artiste qui vit entre Paris et Antananarivo et dont les œuvres sont dominées par le noir et le blanc. Toujours pour exprimer cette dualité entre le jour et la nuit ou la joie et la tristesse.

Joël Andriaomearisoa expérimente aussi la vidéo, la photogaphie, le son dans ses œuvres. Pour Marie-Cécile Zinsou, présidente du musée d’art contemporain de Ouidah, très engagée dans la restitution des trésors royaux réclamés par le Bénin, c’est "un artiste multimédia".

Nouveau souffle

Joël Andrianomearisoa est né en 1977 dans la capitale malgache et y a grandi en pleine révolution socialiste menée par le capitaine de frégate Didier Ratsiraka surnommé "l'Amiral rouge". Des années sombres. À 18 ans, il rejoint Paris où il étudie l’architecture après avoir hésité entre les beaux-arts et une école de design. Tant mieux. "Jeune, j’ai toujours voulu concevoir des formes. Et je trouve que l’architecture est le domaine de réflexion le plus complet. En architecture, on est obligé de conceptualiser, d’avoir une idée, d’être créatif." Les rencontres de Jean-Loup Pivin, architecte et fondateur de Revue noire, un trimestriel spécialisé sur l’art contemporain africain, et de Simon Njamin, écrivain et critique d’art camerounais très connu sur le continent, influencent son parcours et ses travaux.

Mais bien qu’internationalement connu en Europe et aux États-Unis, Joël Andrianomearisoa, à l’instar des grands plasticiens africains, est peu connu sur le continent où l’émergence des galeries ou des espaces d’expressions artistiques est encore récente. "C’est une frustration. Mais je ne suis pas de ceux qui pensent que c’est la faute des gouvernements africains si la culture n’est pas une priorité. C’est la responsabilité des populations et aussi des mécènes qui n’y ont jamais cru", explique celui qui se réjouit que le nouveau régime malgache s’intéresse à l’art, à la culture et au patrimoine.

Le président nouvellement élu Andry Rajoelina a promis dans sa politique générale de l’État, présentée en février, la restauration d’ici 2020 du Rova de Manjakamiadana (palais de la reine), résidence officielle des souverains de Madagascar entre le XIIe et le XIXe  siècle, incendiée en novembre 1995. "Ce nouveau régime est un nouveau souffle pour Madagascar. On a un président qui est jeune et qui a envie de mettre la culture sur le devant de la scène. Moi, j’y crois à 100 %", affirme le Prix Arco Madrid Audemars Piguet 2016.

À Venise, la pression sera énorme. Avec son pavillon de 150 m2, Madagascar espère marquer les esprits.