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Le Conseil de l’UE et le Parlement européen ne parviennent pas à s'accorder sur le futur visage du parquet européen. Les eurodéputés voudraient voir la Roumaine Laura Codruta Kövesi à ce poste, symbole de la lutte contre la corruption dans son pays.
Le lancement du parquet européen devra-t-il être repoussé ? C'est ce qui risque d'advenir tant le Conseil des États membres et le Parlement européen semblent incapables de s'entendre. En jeu : la désignation de la première personne à prendre la tête de cette nouvelle institution qui aura à charge les enquêtes sur les fraudes portant atteintes au budget de l'UE.
Après l'échec d'un troisième round de négociations, jeudi 4 avril, les négociateurs des deux institutions doivent se retrouver pour une négociation de la dernière chance cette semaine. Si aucun compromis n'est trouvé, les discussions pourraient être repoussées jusqu'à la fin des élections européennes, qui auront lieu du 23 au 26 mai 2019.
D'un côté, les eurodéputés souhaitent voir Laura Codruta Kövesi, magistrate roumaine devenue symbole de la lutte contre la corruption dans son pays, accéder au poste. De l'autre, les États membres lui préfèrent le consensuel Jean-François Bohnert, actuel procureur général à Reims, en France.
Devant débuter ses travaux fin 2020, le futur parquet européen siègera à Luxembourg aux côtés de la Cour de Justice de l'Union européenne et de la Cour des comptes européenne. Il "aura le pouvoir d'enquêter et d'engager des poursuites concernant des infractions portant atteintes au budget de l'UE, telles que la fraude, la fraude transfrontière à la TVA, la corruption ou le blanchiment de capitaux", indique le site spécialisée Toute l'Europe. Pour le moment seul 22 États membres ont adhéré à cette nouvelle institution. La Suède, la Hongrie, la Pologne, l'Irlande et le Danemark restent à l'écart.
Laura Codruta Kövesi, un symbole politique
À l'issue de la présélection menée par les responsables européens, Laura Codruta Kövesi faisait figure de favorite. Remarquée en 2006 en accédant à l'âge de 33 ans à la tête du parquet général roumain, elle a ensuite été à la tête du parquet national anticorruption de 2013 à 2018. Impitoyable avec la classe politique de son pays, elle a fait condamner – jusqu'à de la prison ferme – des dizaines d’élus à tous les échelons politiques. Un combat salué par les institutions européennes mais qui lui attire, en retour, la haine tenace du Parti social-démocrate au pouvoir en Roumanie et son homme-fort, Liviu Dragnea.
Figure controversée du centre-gauche roumain, ce politicien a été condamné pour fraude électorale et détournement de fonds publics et contraint de renoncer au poste de Premier ministre. Il est également mis en examen pour fraude aux fonds européens, une enquête sur laquelle le futur procureur aura compétence. En juillet 2018, les sociaux-démocrates roumains ont finalement obtenu le limogeage de la magistrate du Parquet national anticorruption.
Bucarest s'emploie désormais à saboter sa candidature au poste de procureur européen. L'organe de contrôle des magistrats roumains issu d'une réforme pénale contesté par Bruxelles a mis Laura Codruta Kövesi en examen pour des faits de corruption qu'elle conteste. Son contrôle judiciaire lui interdisait jusqu’au 3 avril de sortir de Roumanie pour défendre sa candidature devant les institutions.
"L’obstruction dont fait l’objet Mme Kövesi souligne son courage et son indépendance, qui sont deux exigences cruciales pour le bon fonctionnement du parquet européen", estime l'eurodéputée écologiste Judith Sargentini qui fait partie du trio de négociateurs du Parlement chargé de trouver un compromis avec les représentants des États membres au sujet de la direction du parquet européen.
Le Parlement européen peut compter sur le soutien de certains membres de la Commission européenne qui, ces derniers mois, tentent d'endiguer la montée du populisme et du nationalisme au sein même de l'Union. Interrogé sur la situation judicaire de Laura Codruta Kovesi, Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission, a salué une "juriste de très très haute qualité", qu'il admire "pour son courage". "Il est important qu'elle puisse présenter sa candidature, (...) pour que les institutions européennes puissent prendre une décision en pleine connaissance des positions des candidats", a-t-il dit.
"On a besoin d'un tigre prêt à mordre"
Du côté des États membres, on lui préfère le Français Jean-François Bohnert, 57 ans, actuellement procureur général auprès de la cour d’appel de Reims. Celui-ci coche toutes les cases : expérimenté, europhile, polyglotte, spécialiste des institutions européennes et de la criminalité financière.
"Le parquet européen a besoin d’un professionnel expérimenté et indépendant qui puisse faire fonctionner cet organisme en partant de zéro", plaide le Conseil dans un communiqué publié le 3 avril.
"On a besoin d’un tigre qui est prêt à mordre, il ne faut certainement pas un diplomate. Je suis déçue que la France utilise la pression de ces procédures judiciaires ridicules pour renforcer son candidat", rétorque Ingeborg Grässle, eurodéputée conservatrice allemande et également négociatrice du Parlement européen, dans Le Monde. "Elle est compétente et bénéficie d’une réputation mondiale, on ne lâchera pas sa candidature."
Derrière le différend entre le Conseil et le Parlement se trouve également la question fondamentale de l'approche envisagée pour la création du parquet. Alors que le Parlement a l'intention de constituer une force puissante contre la corruption et les abus de fonds européens, les États membres de l'UE préfèrent une approche technocratique, analyse le Financial Times.
„Wenn Bohnert ein Ehrenmann ist, muss er zurückziehen.“ Machtkampf zwischen EU-Parlament und Rumänien um Korruptionsbekämpferin Kövesi eskaliert:
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"Les États membres veulent désigner quelqu’un qui ne leur causera pas d’ennuis", explique Ingeborg Grässle dans le Spiegel. "Si Bohnert est un homme d'honneur, il doit se retirer. Il ne peut pas être élu sur les cendres de Mme Kövesi. Il est crucial de choisir un candidat fort et crédible."
La création de ce poste de "superprocureur" européen pourra ajouter aux outils à disposition de l'Union européenne. Sur le papier, il pourra en effet lancer des enquêtes dans les 22 pays de l’UE qui ont adhéré à cette initiative et ainsi contrôler l'utilisation des fonds européens.