
Alors que les forces loyalistes en Libye ont repoussé vendredi des combattants du maréchal Haftar dans une offensive vers Tripoli, le secrétaire général de l'ONU, qui a rencontré le responsable militaire, s'est déclaré "extrêmement inquiet".
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré vendredi 5 avril qu'il quittait la Libye "le cœur lourd et extrêmement inquiet". Le diplomate a rencontré vendredi à Benghazi, dans l'est du pays, le maréchal Khalifa Haftar qui a ordonné la veille à ses forces de marcher sur Tripoli, la capitale libyenne, où siège le gouvernement (GNA) reconnu par la communauté internationale.
Face au risque d'embrasement, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies doit se réunir en urgence à 21h heure française (19h TU), à la demande du Royaume-Uni, pour discuter de la situation dans cet État pétrolier d'Afrique du nord, après des appels internationaux à la retenue.
I leave Libya with a heavy heart and deeply concerned. I still hope it is possible to avoid a bloody confrontation in and around Tripoli.
The UN is committed to facilitating a political solution and, whatever happens, the UN is committed to supporting the Libyan people.
Les pays du G7 ont de leur côté mis en garde les acteurs du conflit libyen. "Nous exprimons notre vive préoccupation face aux opérationsmilitaires qui ont lieu à proximité de Tripoli", ont écrit les chefs de la diplomatie des sept pays les plus industrialisés de la planète, réunis à Dinard (Ille-et-Vilaine), dans un communiqué.
Depuis le renversement en 2011 de Mouammar Kadhafi, tué après huit mois de révolte, la Libye est divisée en deux et plongée dans l'insécurité avec la présence de nombreuses milices qui font la loi. Le Gouvernement d'union nationale Fayez al-Sarraj (GNA) dans l'ouest, où se trouve Tripoli, et une autorité dans l'est contrôlée par l'Armée nationale libyenne (ANL), autoproclamée par Khalifa Haftar , se disputent le pouvoir depuis 2015.
Quelques heures après une rencontre entre l'homme fort de l'Est libyen et Antonio Guterres les forces du maréchal Khalifa Haftar ont, en outre, annoncé la prise de plusieurs localités situées aux portes de Tripoli et de l'ancien aéroport international, vendredi soir.
Jeudi 4 avril, les forces pro-Haftar ont lancé une offensive pour prendre Tripoli, où siège le gouvernement d'union nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj et reconnu par la communauté internationale. Fayez al-Sarraj a ordonné à ses combattants et milices alliées de les repousser.
Les affrontements sont situés à Souk Elkamis Msahal entre la force de Fayez al-Sarraj et celles de Haftar, à 45 km au sud de Tripoli. Les pro-Haftar ont progressé en direction de la capitale, mais vendredi 5 avril avant l'aube, des dizaines de leurs combattants ont été chassés après un "court accrochage" d'un barrage de sécurité à 27 km à l'ouest de Tripoli, a indiqué une source de sécurité.
"Pas de solution militaire"
Antonio Guterres, arrivé mercredi dans la capitale libyenne pour tenter de relancer les négociations, a dit son inquiétude face à ce regain de tension. À part Benghazi, il se rendra aussi à Tobrouk pour s'entretenir avec les membres de la Chambre des représentants alliée à Haftar et dont le président Aguila Saleh a salué l'offensive lancée en direction de Tripoli.
"Mon objectif reste le même : éviter la confrontation militaire. Je redis qu'il n'y a pas de solution militaire à la crise libyenne, seulement une solution politique", a écrit Antonio Guterres sur Twitter.
Le maréchal Haftar, qui a combattu les islamistes dans l'est du pays, est soutenu par l'Égypte et les Émirats arabes unis qui l'appuient militairement.
Des dizaines de combattants ont été faits prisonniers et leurs véhicules saisis, selon cette source. Des photos de ces "prisonniers" en uniformes militaires et assis à même le sol dans un lieu inconnu, circulent sur les réseaux sociaux. Il n'était toutefois pas possible de les authentifier dans l'immédiat.
Selon un journaliste de l'AFP sur place, Fayez al-Sarraj, accompagné de commandants de la région occidentale, s'est rendu au barrage repris par ses forces, dans un convoi d'une vingtaine de véhicules, dont des pick-up armés de canons anti-aériens. Il a échangé brièvement avec les hommes armés au barrage avant de prendre la route vers Tripoli.
"Avancée maudite"
Jeudi 4 avril, Khalifa Haftar a ordonné à ses forces d'"avancer" en direction de Tripoli. "L'heure a sonné", a-t-il déclaré dans un message sonore, promettant d'épargner les civils, les "institutions de l'État" et les ressortissants étrangers.
Avant lui, le général Ahmad al-Mesmari, porte-parole de l'ANL, avait annoncé mercredi la préparation de cette offensive pour "purger l'ouest" libyen "des terroristes et des mercenaires".
La force de protection de Tripoli, une coalition de milices tripolitaines fidèles au GNA, a annoncé aussitôt une contre-offensive pour stopper l'avancée de ses adversaires.
Elle a donné le nom de "Ouadi Doum 2" à l'opération, en allusion à la défaite en 1987 du maréchal Haftar, alors officier sous le régime déchu de Mouammar Kadhafi, dans la région de Ouadi Doum à la frontière du Tchad. Khalifa Haftar s'était alors fait prisonnier.
De puissants groupes armés de la ville de Misrata (ouest), loyaux au GNA, se sont dit "prêts à stopper l'avancée maudite [des pro-Haftar]".
Appels à la retenue
Craignant un embrasement, le Kremlin a mis en garde contre une "reprise du bain de sang" et appelé à un règlement "pacifique et politique" du conflit.
Avant la Russie, Washington, Paris, Londres, Rome et Abou Dhabi ont appelé "toutes les parties" libyennes à faire baisser "immédiatement les tensions".
La nouvelle escalade est intervenue avant une Conférence nationale sous l'égide de l'ONU prévue mi-avril à Ghadamès (sud-ouest libyen), qui avait pour but de dresser une "feuille de route" avec la tenue d'élections pour tenter de sortir le pays de l'impasse.
Les efforts diplomatiques des dernières années n'ont pas permis une réelle percée en vue d'une solution politique.
"Le risque d'embrasement est accru", a jugé Jalel Harchaoui, chercheur à l'Institut Clingendael de La Haye. "Prendre Tripoli (…) reste une possibilité" pour Khalifa Haftar, appuyé par différents pays du Golfe, avance-t-il, faisant allusion aux Émirats arabes unis, à l'Égypte et à l'Arabie saoudite, où il a été reçu fin mars.
Outre l'est libyen, le maréchal Haftar contrôle des pans de la vaste région désertique du Sud. Sebha, chef-lieu du sud, ainsi que l'un des plus importants champs pétroliers du pays, à al-Charara, sont passés sous son contrôle.
I am deeply concerned by the military movement taking place in Libya and the risk of confrontation. There is no military solution. Only intra-Libyan dialogue can solve Libyan problems. I call for calm and restraint as I prepare to meet the Libyan leaders in the country.
António Guterres (@antonioguterres) 4 avril 2019Avec AFP et Reuters