Auditionné au Congrès, Micheal Cohen, ex-avocat de Donald Trump, a dépeint un menteur, un escroc, et un raciste. Ce témoignage peut-il avoir un impact sur le mandat du président ? Analyse avec James Gardner, spécialiste américain du droit électoral.
Aux États-Unis, c’est la sensation médiatique du moment. Pendant trois jours, du mardi 27 au jeudi 29 février, l’ancien avocat de Donald Trump, Michael Cohen, a vidé son sac devant le Congrès , racontant, et parfois documentant, les magouilles de son ex-client auxquelles il dit regretter avoir pris part. Son audition doit se poursuivre la semaine prochaine. Ces longues heures de témoignage de celui qui fut le "pitbull" de Donald Trump, et qui a été condamné en décembre à trois ans de prison pour parjure devant le Congrès, fraude fiscale et infraction des lois sur le financement des campagnes électorales, sont une aubaine pour les démocrates. Mais représentent-elles une réelle menace pour le président américain ? Éclairage avec James Gardner, spécialiste du droit électoral et professeur à l’université Buffalo School of Law, sur l’audition de mercredi 27 février, la seule tenue publiquement.
France 24 : Certaines révélations de Michael Cohen pourraient-elles porter préjudice à Donald Trump ?
James Gardner : D’abord, quasiment tout ce que Michael Cohen a déclaré sur le président était déjà connu de tous. Tout le monde sait que le président est un menteur, un tricheur et une brute épaisse. Ces informations étaient disponibles durant la campagne présidentielle et même bien avant ; et Donald Trump a quand même été élu. Mais il y a quand même deux nouvelles informations intéressantes qui ont été révélées. Premièrement, nous avons appris que Donald Trump avait continué à prendre part à un financement illégal de campagne, même après être devenu président [Michael Cohen a fourni la copie d’un chèque signé de la main de Donald Trump et daté d’août 2017, assurant qu’il s’agissait d’un remboursement d’une somme d’argent qu’il avait versé en 2016, au moment de la campagne présidentielle, à l’ancienne actrice pornographique Stormy Daniels, qui affirme avoir eu une liaison avec le président, afin de la réduire au silence, NDLR]. Le second élément, c’est que Donald Trump aurait exercé des pressions sur Michel Cohen, selon ce dernier, pour qu’il mente devant le Congrès. On parle alors d’obstruction à la justice et d’incitation au parjure, ce qui est un crime. Ces deux informations pourraient servir à une potentielle enquête pour déterminer si Donald Trump a commis une infraction ouvrant la voie à une procédure de destitution.
Une procédure de destitution serait-elle envisageable ?
J.G. : Disons qu’il y a désormais des bases plus solides pour une procédure de destitution. Mais attention, ce n’est pas juste une question juridique : une telle procédure n’est pas entreprise en cas de seule violation de la loi, il faut que la santé politique de la nation soit en jeu. Par ailleurs, les nombreuses informations fournies par Michael Cohen peuvent potentiellement enrichir d’autres enquêtes. Elles pourraient être utilisées par les procureurs pour mettre à jour des délits commis par Trump ou la fondation Trump avant son arrivée à la Maison Blanche.
Vous dites que peu d’éléments étaient nouveaux lors de cette audition. Était-elle importante au final ?
J.G. : Elle était incroyable. Il s’agit d’un homme qui naviguait à l’intérieur du système Trump et qui était très proche du président qui dit haut et fort ce que tout le monde soupçonnait : que Donald Trump est un menteur pathologique qui exerce des menaces sur les gens. On ne savait d'ailleurs pas qu’il le faisait aussi fréquemment : cela s'est produit à 500 occasions en dix ans, a expliqué Michael Cohen, soit une fois par semaine ! Je pense que l’on a assisté à un moment très important. Le seul événement similaire selon moi est le témoignage de John Dean, l’ex-conseiller juridique de la Maison Blanche, durant le scandale du Watergate [ John Dean a plaidé coupable devant la Commission sénatoriale d'enquête en juin 1973]. Mais aujourd’hui, nous vivons une période différente de celle du Watergate [le scandale et les auditions avaient débouché, quelques mois plus tard, sur la démission du président Richard Nixon], donc l’impact de cette audition est très incertain.
Quelle est la différence entre les années 1970 et aujourd’hui ?
J.G. : Dans les années 1970, les gens ne savaient pas, avant le témoignage de John Dean, que Richard Nixon était une personne malhonnête, assoiffée de pouvoir et intolérante. Aujourd’hui, le témoignage de Michael Cohen ne constitue pas une révélation aussi choquante, car on connaît déjà la personnalité de Donald Trump. Mais, au-delà de ça, il y a eu un changement notable ces derniers temps dans la manière dont la classe politique réagit à ce genre d’allégations. Pendant l’audition de Michael Cohen, pas un seul républicain n’a réagi aux accusations concernant Trump, ils se sont contentés d’attaquer la crédibilité de Michael Cohen. Cela reflète une hausse de la polarisation partisane du pays, mais aussi l’érosion des standards démocratiques appliqués à ceux qui sont au pouvoir. L’indignation et le choc sont moindres aujourd’hui. Un témoignage comme celui-là devrait avoir des conséquences désastreuses sur les chances de réélection de la personne concernée. Mais la vérité, c’est que je ne suis même pas sûr que cela fera une différence pour Trump en 2020.