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Le Fespaco, festival vitrine pour le cinéma africain, célèbre ses 50 ans

Le Fespaco, plus grande manifestation cinématographique africaine, célèbre cette année son cinquantenaire. Avec pour thème "Mémoire et avenir du cinéma africain", le festival burkinabè veut établir un trait d’union entre passé et avenir.

Samedi   23   février s’est ouvert à Ouagadougou, au Burkina Faso, la 26e édition du plus grand festival de cinéma africain, le Fespaco. Cette année, la rencontre, qui a lieu tous les deux ans, devrait réunir près de 100   000 spectateurs.

"Cinéastes d'Afrique, nous vous aimons", a lancé Yacouba Traoré, le président du comité d'organisation du F estival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou, devant quelques milliers de spectateurs.

Cette manifestation culturelle, la plus grande d'Afrique, fête cette année ses 50   ans. "C'est une chose extraordinaire de voir le Fespaco souffler sa cinquantième bougie", a déclaré lors de la cérémonie d'ouverture, celle qui fut la première présidente du comité d'organisation du Festival en   1969. L'ancienne ministre de la Culture du Burkina Faso (de 1987 à 1991), Alimata Salembéré est arrivée au côté du président burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré.

Pour l’occasion, le directeur général, Aridouma Soma, a exprimé vouloir mieux "implanter" le Festival et "repositionner le Fespaco pour les cinquante prochaines années".

"Mémoire et avenir du cinéma africain"

Vingt longs métrages de fiction sont en lice pour décrocher l'Étalon d'or, la Palme d'or africaine. Mais ce sont au total   165   films de seize pays africains qui vont concourir pendant les huit jours du Festival, du   23   février   au   2 mars, dans les différentes sections, courts métrages, documentaires, séries télé, films d'animation, ou encore films d'écoles africaines de cinéma. L'édition de cette année a pour thème "Mémoire et avenir du cinéma africain".

Parmi les longs métrages en compétition, sont attendus notamment le film kényan "Rafiki", de Wanuri Kahiu, sélectionné au Festival de Cannes et un temps interdit de diffusion dans son pays en   2018 , parce qu'il raconte un amour lesbien. Autre film attendu   : "Desrances", la nouvelle fiction de la Burkinabè Apolline Traore (remarquée en   2017   pour "Frontières") sur la crise post-électorale ivoirienne de   2010.

De son côté, le western sud-africain, "Five fingers for Marseilles", emprunte les codes hollywoodiens et raconte l’histoire d’un homme qui rentre dans son village natal après vingt ans d’exil. Un film très esthétique du réalisateur Michael Matthews, qui compte parmi les favoris de la compétition.

Cette année, le Rwanda étant le pays invité d'honneur, c'est le film d'un Rwandais, Joël Karekezi, qui a fait l'ouverture   : "The Mercy of the Jungle" (La miséricorde de la jungle) raconte l'odyssée de deux soldats perdus dans la forêt d'un Congo en guerre.

La cérémonie s'est ouverte par la traditionnelle parade des cavalières, référence à Yennenga, la princesse guerrière fondatrice du royaume mossi (principal peuple du Burkina), qui a donné son nom au trophée du festival biennal   : l'Étalon d'or de Yennenga.

Une vitrine très importante

Le Fespaco a permis de maintenir un lien étroit entre cinéastes africains et populations de toutes catégories. Pour Melissa Thackway, réalisatrice, chercheuse et enseignante à Sciences-Po ainsi qu'à l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), auteure de l'ouvrage "Africa shoots backs", c’est aussi l’occasion pour les cinéastes, professionnels de l’audiovisuel africains et ceux de la diaspora de se rencontrer et de se nourrir les uns des œuvres des autres. "C’est un rendez-vous très important, un lieu de travail, d’échanges et d’apprentissage", explique la chercheuse.

Justement, cette année le festival diffuse des classiques du cinéma africain des années 1960 - 1970, restaurés notamment grâce à la fondation de Martin Scorsese, la World Cinema Foundation. Des œuvres rares qui permettraient d’impulser un second souffle aux nouvelles générations de cinéastes.

Le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a appelé à un "sursaut intellectuel, culturel et pédagogique", afin de "modifier profondément le regard que nous portons sur nous-mêmes, sur ce que nous avons, ce que nous pouvons", a poursuivi le Tchadien, évoquant la mémoire de Thomas Sankara pour parler de son "panafricanisme accompli".

1/2: Je voudrais vous inviter avec le sentiment d'urgence qu'appelle la situation,à un sursaut intellectuel, culturel+pédagogique.L'objectif, ce faisant,est de modifier profondément le regard que nous portons sur nous-mêmes,sur ce que nous avons,ce que nous pouvons, #Fespaco2019 pic.twitter.com/ARz5J3jjeq

  Moussa Faki Mahamat (@AUC_MoussaFaki) 24 février 2019

"Si l'édition commémorative du cinquantenaire du Fespaco, placé sous le signe de la mémoire et de l'avenir, peut amplifier et rendre audible cet appel du cœur, elle aura prodigué un bienfait salvateur à notre continent", a-t-il ajouté sur Twitter, soulignant l'importance du festival pour le continent.

À la rencontre du public

Des films lauréats de l'Étalon d'or seront également diffusés lors de séances ambulantes dans les quartiers populaires, afin que le public "puisse suivre le maximum de films, et que les cinéastes puissent véritablement aller à la rencontre de leur public", selon Adiouma Soma.Malgré la rareté des salles obscures dans beaucoup de pays africains – le Cameroun ne comptait aucune salle de cinéma jusqu’aux années   2000 –, les films ont du succès quand ils sont mis à disposition du public. "Les populations peuvent s’identifier à des histoires qui leur parlent, dans leur langue et ils y trouvent du plaisir", analyse Melissa Thackway. C’est d’ailleurs le cas du film malien "Barkomo" (Grotte), premier en langue dogon (dialecte très localisé au Mali et au Burkina Faso), d’Aboubacar Bablé Draba et Boucary Ombotimbé.

Les femmes peu représentées

Avec la création d’une catégorie dédiée au documentaire, le Festival évolue en gardant en toile de fond la mise à l’honneur du panafricanisme et l’éducation des peuples. Conscientiser, c’est tout l’enjeu du Fespaco.

Quatre réalisatrices sont en lice, face à seize réalisateurs, soit aussi peu de femmes que les années précédentes. Ce manque de représentativité n’a pas manqué de faire réagir des artistes, comme Fatou Kandé Senghor qui réclame "plus d’équité". En   25   éditions, 25   hommes ont été récompensés de l’Étalon d’or. Nous saurons le   2   mars qui succèdera à  "Félicité", du franco-sénégalais Alain Gomis, qui fut primé en   2017.

On va au fespaco. On veut faire bouger quelques petites lignes.venez avec nous. pic.twitter.com/Nzhz6YTKR3

  Fatou Kandé Senghor (@KandeSenghor) 14 février 2019

Un festival sous tension

La grande fête du cinéma africain se tient toutefois sous tension, en raison des attaques jihadistes qui se multiplient depuis quatre ans dans le pays, et qui ont encore connu un crescendo ces trois derniers mois.

Quelque 2   000 hommes ont été mobilisés, selon le commissaire Joseph Toni, président de la commission sécurité du Fespaco. Des patrouilles ont lieu jour et nuit. "Les hôtels, les lieux de manifestations, les salles de cinéma sont surveillés" et des "contrôles rigoureux et des fouilles systématiques" sont effectués.

Depuis début décembre, une quinzaine d'attaques ont été perpétrées au "pays des hommes intègres", visant les régions du nord et de l'est du pays, tuant   80   personnes, civils et membres des forces de l'ordre.

Les organisateurs attendent 4 500 professionnels et près de 100 000 spectateurs lors des 450 projections prévues dans neuf salles de la capitale burkinabè, mais aussi à Bobo Dioulasso et à Ouahigouya, les deux autres principales villes du pays.

Malgré quelques problèmes organisationnels qui ont valu au réalisateur tchadien, Mahamat-Saleh Haroun, de "ne plus y mettre les pieds" depuis 2011, le Fespaco continue de suciter l'engouement du public et d'attirer de jeunes cinéastes.

Avec AFP