Entre des études contradictoires sur la dangerosité du glyphosate et les rétropédalages du gouvernement sur le dossier, le dossier est parfois complexe. Pour tout comprendre, France 24 propose un tour de la question en dix points.
Le pesticide qu'est le glyphosate revient régulièrement dans l’actualité. Dernier épisode en date : cette semaine, le dépôt d’une proposition de loi de la France Insoumise pour demander son interdiction. Une démarche qui fait suite au test de dépistage urinaire effectué par une centaine de personnes dont une dizaine de députés, certains de la majorité LREM, à l'appel de l'association "Campagne glyphosate". L’opération vise à dénoncer la présence dans l’organisme de ce pesticide pour l'ensemble de la population française, et pas seulement les agriculteurs. 100 % des personnes testées, enfants compris, ont présenté des traces de glyphosate dans leurs urines. Des élus qui se sont soumis au test ont par ailleurs porté plainte contre l'État pour "mise en danger de la vie d'autrui".
Entre les études contradictoires sur la dangerosité du glyphosate, le débat politique, et les rétropédalages du gouvernement sur le dossier, le dossier est complexe. France 24 propose un tour de la question en dix points.
1. Le glyphosate, c’est quoi ?
C’est une molécule aux propriétés herbicides. Inefficace seule, elle devient active si elle est ajoutée à des produits chimiques tels que du solvant. En pénétrant par les feuilles, le produit se diffuse via la sève jusqu'aux racines. Très efficace, il tue toutes les plantes sans distinction – excepté celles génétiquement modifiées pour lui résister.
Dans les années 1970, les propriétés herbicides du glyphosate ont été brevetées par l'entreprise Monsanto, qui a commercialisé le désherbant sous le nom de 'Roundup'. Au début des années 2000, ce brevet est tombé dans le domaine public et la molécule est utilisée par de nombreux industriels, partout dans le monde. Le glyphosate est aujourd'hui le premier herbicide vendu au monde. Rien qu'en France, on en utilise 8 000 tonnes chaque année.
2. Pourquoi les agriculteurs le plébiscitent-ils ?
En France, le glyphosate est utilisé pour préparer les sols avant les cultures, notamment de céréales. Il permet un gain de temps et de rendement non négligeables pour les agriculteurs qui n’ont plus besoin de labourer. Dans certains pays, des plantes sont génétiquement modifiées pour ne pas succomber à l’herbicide. Le glyphosate peut ainsi être répandu sur l'ensemble des cultures, tuant les mauvaises herbes mais préservant les plantes qui y résistent.
L’herbicide est également utilisé en sylviculture (la culture de la forêt), dans les parcs et les espaces publics, ou encore sur les voies ferrées.
3. Pourquoi son utilisation est controversée ?
Le glyphosate suscite de grandes inquiétudes quant à sa dangerosité sur la santé humaine et l’environnement. Est-il toxique ? Cancérogène ? Agit-il comme perturbateur endocrinien ? Les scientifiques sont divisés sur ces questions. D’une part parce que les résultats diffèrent selon que l’étude est menée par une ONG, une agence française ou européenne, ou encore un industriel. D’autre part parce que les méthodologies varient (les analyses portant sur la molécule seule ou avec le solvant).
En mars 2015, à la lumière d’un grand nombre d’études internationales, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), affilié à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a qualifié le glyphosate de "cancérogène probable pour l’homme". Sauf que l'EFSA (agence européenne de sécurité des aliments) et l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), qui se basent sur d’autres études scientifiques, concluent à l’absence de risque significatif concernant les cancers.
En clair, aucune étude épidémiologique ne permet aujourd’hui d’attester avec certitude une corrélation entre le glyphosate et le cancer.
4. Pourquoi le glyphosate fait-il débat en France ?
C’est devenu un dossier très politique depuis le tweet d’Emmanuel Macron, en décembre 2017, s’engageant à sortir du glyphosate d’ici 2021 – un mois après le renouvellement de son homologation pour cinq ans par l'Union européenne. Sauf que depuis, le gouvernement semble rétropédaler. Les députés de la majorité ont refusé à deux reprises en 2018 d’inscrire son interdiction dans la loi Agriculture et alimentation.
Depuis le début de l’année, l'exécutif a aussi donné des objectifs variables au sujet de cet herbicide. Le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume n'écarte pas la possibilité de permettre l'épandage de glyphosate sur 50 % des surfaces agricoles au 1er janvier 2021, quand Emmanuel Macron parlait la semaine dernière d’une interdiction “pour 85 % des usages” à cette même date.
5. Comment expliquer un tél rétropédalage ?
Pour expliquer le double discours du gouvernement, le directeur de l'association de défense de l’environnement Générations Futures François Veillerette pointe du doigt "les lobbys de l’industrie des pesticides et la FNSEA [principal syndicat agricole] qui ont pesé de tout leur poids pour ne pas l’inscrire dans le dur de la loi". Il craint que "le glyphosate ne soit encore là pour quelques années".
L’herbicide controversé est au cœur d’une bataille de communication entre les lobbies qui défendent son usage et ceux qui veulent l’interdire. En juin dernier, Delphine Batho, alors ministre de l’Écologie, dénonçait que l’Union pour la protection des plantes (UIPP), réunissant des producteurs de pesticides comme Monsanto ou Bayer, avait eu accès à son amendement proposant d’interdire le glyphosate "plus de quatre-vingt-dix heures" avant les députés. Et avant même que son texte ait été enregistré par les services de l'Assemblée nationale. Sur ce point, le président de l’Assemblée nationale François de Rugy a rétorqué : "Il ne faut pas non plus fantasmer sur des lobbies. Je considère qu’il est normal qu’il y ait des groupes de pression qui fassent entendre les intérêts privés (…) après c’est le Parlement qui tranche en toute transparence."
Autre exemple concret du poids des lobbies avec les "Monsanto papers", qui ont révélé en 2017 les manœuvres de Monsanto pour dissimuler les effets sur la santé du glyphosate et pour influencer les agences du gouvernement chargées de la santé. La société américaine est également accusée d’avoir, via un lobby, crée des groupes de faux agriculteurs dans plusieurs pays dont la France, pour communiquer en faveur du glyphosate.
6. Pourquoi est-ce si compliqué de sortir du glyphosate ?
Pour une culture intensive, aucun herbicide n'est aussi efficace que le glyphosate, assurent les agriculteurs. Son interdiction entraînerait selon eux une hausse des coûts de production difficilement supportable. D’autant plus que des produits agricoles de pays où cet herbicide resterait autorisé pourraient être importés en France, introduisant une concurrence déloyale. La FNSEA refuse que Paris prenne une position unilatérale différente du résultat du vote européen. Dans le même temps, en 2018, un nombre record de 6 200 exploitants s'est converti au bio dans l'Hexagone.
7. Peut-on acheter de l’herbicide en France ?
Depuis le début de l’année, les particuliers ont interdiction d'acheter ces pesticides de synthèse. Son utilisation dans les espaces ouverts au public des collectivités est également interdite depuis 2017. Un tribunal de Lyon a annulé, fin janvier, l'autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, de Bayer (ex Monsanto) utilisé surtout en viticulture.
8. Qui y est exposé ?
Si les agriculteurs sont particulièrement exposés à l’herbicide, de plus en plus de personnalités et d’anonymes effectuent des analyses d’urine pour évaluer leur taux de glyphosate. L'association Campagne Glyphosate a lancé une opération d'analyse dans plusieurs villes de France. Ainsi, à Lille, cinquante personnes ont participé à des tests urinaires. Certaines affichent des taux à 2,05 nanogrammes de glyphosate par millilitre d'urine, contre 1,06 en moyenne chez les personnes testées. A titre de référence, la limite fixée pour la présence de pesticide dans l’eau potable est de 0,1 microgramme par litre. Ces cinquante personnes ont porté plainte auprès du procureur de la République pour "mise en danger de la vie d'autrui".
9. Quels sont les produits qui contiennent des traces de cette molécule ?
Si les industriels assurent qu'aucun résidu du glyphosate ne reste dans la terre, de nombreuses études ont révélé ces dernières années que la molécule était présente dans de nombreux produits de consommation, comme des céréales, des pâtes ou encore des haricots verts, mais aussi des couches pour bébé, des tampons et des serviettes hygiéniques.
10. Une personne qui mange bio peut-elle se prémunir du glyphosate ?
"Nous sommes tous exposés au glyphosate" par les résidus dans l’alimentation, dans l’eau ou dans l’air, assure François Veillerette, directeur de l'association de défense de l’environnement Générations Futures. Autrement dit, quelle que soit l’alimentation, un individu peut être contaminé. Plusieurs résultats d’analyses d’urines sur des personnes déclarant manger bio ont pu se révéler particulièrement chargés en glyphosate. C’est le cas notamment de l’étudiant toulousain qui présente un taux 31 fois supérieur à la dose autorisée dans l’eau potable.