Un juriste américaine veut que les sites d’alunissage sur l'unique satellite naturel de la Terre soit traité comme le patrimoine mondiale de l’Unesco pour les protéger. Une idée difficile à mettre en pratique en l'état actuel du droit de l'espace.
Les empreintes de botte de Buzz Aldrin (photo) et Neil Armstrong sur la lune doivent-elles être protégées au même titre que les grottes de Lascaux ? Michelle Hanlon, une juriste américaine spécialiste du droit spatial, en a fait son cheval de bataille. Dans un appel lancé lundi 18 février, elle estime que le site d’alunissage de la mission Apollo 11 de 1969, ainsi que les autres site d’alunissage mériteraient de figurer sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Elle a même fondé une organisation - For All Moonkind - rassemblant une centaine de spécialistes, dont des juristes, des archéologues et des astrophysiciens, pour soutenir l'effort de préservation de ces vestiges de la conquête spatiale.
“Les traces laissées par l'alunissage sont une manifestation de notre histoire commune et doivent être traitées avec le respect dû au patrimoine mondial”, estime cette chercheuse à l’Université du Mississippi. Une inscription sur la liste de l'Unesco permettra d'organiser la protection du site et de limiter les risques de dégradation.
Cinquante ans de la mission Apollo 11
Une telle inscription ne serait pas une simple reconnaissance formelle de l’importance du “petit pas pour l’homme” de Neil Armstrong. Il s’agirait de protéger concrètement ces sites contre “des détériorations accidentelles ou intentionnelles par l’Homme”, affirme Michelle Hanlon. Car les traités qui régissent le droit spatial ne s’intéressent pas à cette question. La seule mesure qui pourrait être invoquée provient “du traité sur la Lune de 1979 et concerne la préservation des sites présentant un intérêt scientifique particulier, mais c’est dans le contexte de la protection de l’environnement naturel de la Lune, alors que les sites d’alunissage sont, par définition, des traces laissées par l’Homme”, précise Philip De Man, spécialiste du droit spatial à l’Université de Leuven (Belgique), contacté par France 24.
Le silence du législateur peut se comprendre. Il n'y a, pour l'instant, pas foule sur la Lune... “C’est clairement une initiative pour commencer à réfléchir à la question afin que lorsque le risque de dégradation deviendra réel, quand il y aura plus de monde sur place, la communauté internationale soit prête à répondre au défi”, estime Dimitra Stefoudi, doctorante à l’Institut international de l’Espace de l’Université de Leiden (Pays-Bas), contactée par France 24.
Surtout que ce moment pourrait ne pas être si lointain. “Il y a un regain d’intérêt pour la Lune : la Chine s’est posée sur la face cachée lunaire [le 3 janvier 2019, NDLR], et l’Europe tout comme les États-Unis évoquent une présence plus permanente sur place à travers les projets de Village lunaire de l’European Space Agency et d’une base américaine qui servirait d’étape pour se rendre ensuite sur Mars”, souligne Philip De Man.
Michelle Hanlon a aussi fait preuve d’un “bon timing politique avec son appel, car cette année marque le 50e anniversaire de la mission Apollo 11, ce qui pourrait donner du poids à cette initiative”, estime Philippe Achilleas, directeur de l’Institut du droit de l’espace et des télécommunications, contacté par France 24.
L’Unesco garde les pieds sur Terre
Mais encore faut-il que l’Unesco puisse ajouter les sites d’alunissage au patrimoine mondial de l’humanité. “Nous gardons les pieds bien sur terre”, s’amuse Mechtild Rossler, directrice du centre du patrimoine mondial, contactée par France 24. En l’état actuel des textes, il n’y aucune chance pour que l’empreinte des bottes de Neil Armstrong entre au patrimoine mondial car “il faut que la demande émane d’un État pour un site qui dépend de son territoire”, assure-t-elle.
Même si Michelle Hanlon réussit à convaincre les États-Unis de l’intérêt de sa démarche, Washington ne pourra jamais soutenir que les sites d’alunissage lui appartiennent. Les traités sur l’espace interdisent, en effet, à un pays de “revendiquer un droit de propriété sur un bout de Lune ou de n’importe quel corps celeste”, précise Dimitra Stefoudi.
Mechtild Rossler ne ferme, cependant, pas complètement la porte. Il faudrait que les États parviennent à signer un accord séparé pour l’espace. “C’est ce qui a été fait pour l’Antarctique qui n'appartient à personne”, explique-t-elle.
Mais, même dans ce cas, un problème pratique se pose : il faut un suivi de la préservation des sites et “nous n’avons aucun organisme capable de s’en occuper”, note-t-elle.
L'organisation For All Manking reconnait qu'en l'état actuel, une inscription sur la liste du patrimoine mondial relève du vœux pieux. Ses membres planchent d'ailleurs sur un nouveau texte qui permettrait de sortir de cet impasse. N’empêche que préserver l’empreinte de botte de Neil Armstrong, il faut espérer que tous les obstacles juridiques puissent être levés avant qu’un robot lunaire roule dessus ou qu’un pilleur de tombe du futur ne fasse main basse sur cette trace historique et la revende au plus offrant. La demande, en tout cas, existe : le sac utilisé par Neil Armstrong pour prélever de la poussière lunaire s’était vendu, en 2017, pour plus de 1,5 million de dollars.