
Les cinq candidats pour la présidentielle du 24 février au Sénégal sont présents sur le terrain et aussi sur les réseaux sociaux. Mais comment y mènent-ils campagne ? Cheikh Fall, président des de la ligue africaine des blogueurs, nous en parle.
Selon l’Agence de régulation des télécommunications et des postes du Sénégal (ARTP), près de 10 millions de Sénégalais sur les 15 millions que compte le pays sont connectés, et 88 % d'entre eux le sont via leur smartphone. Conscients de ce fait, les cinq candidats en lice pour la présidentielle du 24 février ont investi les réseaux sociaux, espérant rallier à leur cause un plus grand nombre d’internautes.
Cheikh Fall est président des Africtivistes, la ligue africaine des blogueurs, cyber activiste pour la démocratie et acteur majeur de la CivicTech sénégalaise, un groupement de start-up et d’organisations qui cherchent à améliorer le système politique grâce à des innovations technologiques.
Il estime que les stratégies digitales des candidats laissent à désirer.
France 24 : Les cinq candidats à l’élection présidentielle du Sénégal marquent leur présence sur les réseaux sociaux. Comment analysez-vous leur campagne sur la toile?
Cheikh Fall : Les candidats sont un peu désorganisés sur les réseaux sociaux. Le président Macky Sall (420 000 followers sur Facebook) maintient une constance depuis qu’il est devenu en 2011 opposant à Abdoulaye Wade. Mais c’est silence radio du côté d’Idrissa Seck qui s’affirme de plus en plus comme son principal challenger. L’ancien Premier ministre semble délaisser le numérique et n’a pas une véritable stratégie digitale organisée et concertée. Le candidat Madické Niang est la grosse surprise. Il est le seul parmi les cinq candidats à faire de la communication digitale en interagissant avec les internautes. Mais les autres candidats font juste de l’information en ne relayant que des communiqués ou des vidéos.
Le plus jeune des candidats, Ousmane Sonko, 44 ans, est suivi par 156 000 personnes sur Facebook. Il semble avoir conquis les internautes...
Ousmane Sonko a suscité l’intérêt chez les jeunes. Et il est porté par les Sénégalais de la diaspora avec son discours anti-système qui marque une rupture. Il a été un lanceur d’alerte en dénonçant en 2016 via internet des malversations dans la gestion du pétrole et du gaz. Ses révélations ont été reprises par les médias sénégalais en ligne. Il a donc fait son entrée en politique à travers le digital. Ses vidéos sont les plus vues, les plus likées.
Vous estimez que les candidats n’utilisent pas les réseaux sociaux de manière optimale...
Les candidats se contentent juste d’être présents sur les réseaux sociaux. Ils ont chacun des pages sur Facebook, des comptes sur Twitter. Ils possèdent au final beaucoup de pages, au point où on ne sait plus quelles sont les vraies pages officielles. Ils se limitent à des groupes de fans. Ils y publient des contenus, des vidéos. Mais ils n’interagissent pas avec le public. L'équipe de Macky Sall, par exemple, bien qu’il soit de loin le candidat le plus suivi, ne répond à aucun message, à aucune interpellation.
Pourquoi ?
Les candidats sont occupés à séduire l’électorat classique dans les régions et les provinces. Ils ne pensent pas qu’ils peuvent aussi avoir un électorat assez solide sur les réseaux sociaux. Pourtant aujourd’hui on a des exemples comme Barack Obama, Donald Trump ou encore Emmanuel Macron qui montrent aux internautes qu’ils sont eux-mêmes derrière leur compte. Cela crée une nouvelle forme de relation entre le citoyen et le politique. Au Sénégal, les candidats n’entretiennent pas la relation avec le public. Or ils devraient faire en sorte que les internautes puissent devenir des ambassadeurs de leur image et de leur discours.
Vous êtes le président des Africtivistes, une association qui regroupe des cyber-activistes africains. Comment les acteurs de la CivicTech sénégalaise s’organisent pour cette présidentielle ?
Comme en 2012, nous avons mis en place l’initiative #Sunu2019 et aussi la plateforme Senegalvote, qui nous permet de faire de la sensibilisation, de l’information, du contrôle et de l’observation électorale. Des e-observateurs équipés de smartphones vont sillonner les bureaux de vote et faire un reporting du matériel de vote, de l’affluence des électeurs, des manquements et des couacs en temps réel via Whats’app, qui est le média le plus utilisé au Sénégal. Nous comptons beaucoup sur les réseaux sociaux pour faire le monitoring du scrutin. Il faut donc qu'Internet soit libre, accessible et neutre durant tout le processus électoral.
Il y aussi le hashtag #Sunudebat qui a émergé sur Twitter, qui visait à inciter l’organisation d’un débat télévisé entre les différents candidats à la présidentielle. Qu’en-est-il ?
En tant que citoyens et électeurs, on a senti la nécessité d’avoir un débat républicain entre les différents candidats. Un débat où chacun devra défendre son programme politique, son agenda de gouvernance. Les quatre candidats opposés à Macky Sall ont tous accepté de se prêter au jeu. Mais pas le chef de l’État. Macky Sall est un candidat sortant qui doit avoir comme adversaires d’autres candidats. Et les respecter, c’est accepter de s’asseoir avec eux et de discuter.
[Le débat a finalement été annulé par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel, qui a estimé qu'un débat ne pouvait se tenir qu'à la condition que tous les candidats y participent, NDLR]