La diffusion d’une série historique à succès a été stoppée fin janvier par les autorités chinoises qui la jugent "incompatible avec les valeurs du socialisme". Une censure qui traduit un "resserrement du contrôle idéologique", selon Camille Liffran.
Adieu les concubines fomentant des intrigues de palais dans la Chine du XVIIIe siècle de la dynastie Qing. Sur les écrans chinois en tout cas. Zhejiang Television et Shandong Television, des chaînes de télévision de deux provinces distinctes, avaient programmé, le 29 janvier dernier, un épisode de la série historique à succès "L'histoire du palais Yanxi". Ils n’ont jamais été diffusés, remplacés sans préavis par des épisodes d’une série contemporaine chinoise.
Quatre jours plus tôt, un éditorial paru dans le journal d’État, Beijing Daily, jugeait la série "incompatible avec les valeurs fondamentales du socialisme".
Le média en Ligne Mothership, basé à Singapour où la série est très suivie, a listé les griefs faits à la série par le journal officiel : "rendre le mode de vie impérial à la mode et le présenter comme un idéal", "vicier la société contemporaine en montrant des coups de poignard dans le dos et des manigances", "magnifier l’empereur et ses sujets en ignorant les héros d’aujourd’hui" et encore "glorifier l’extravagance en dévaluant le travail et la frugalité".
Tout avait pourtant bien commencé. La saga historique de 70 épisodes avait été lancée sur la plateforme populaire IQiyi en juillet dernier où elle a été vue 15 milliards de fois (par comparaison, l‘épisode le plus regardé de Game of Thrones a été vu 16,5 millions de fois).
Le succès du programme a rapidement dépassé les frontières chinoises. Traduit en 14 langues et distribué dans 70 pays, la série a même été le programme télé le plus recherché sur Google en 2018… un moteur pourtant bloqué en Chine. "L'histoire du palais Yanxi" était même parvenue à réchauffer un peu les relations entre Pékin et Taipei, un officiel taiwanais ayant déclaré, en septembre, que le succès de la série sur l’île était la preuve d’une "culture partagée" entre Taiwan et la Chine.
Si l’arrêt de cette série crée des remous, c’est avant tout en raison de son succès, à l’étranger et auprès de la diaspora chinoise notamment. Ce n’est, en effet, pas la première fois que le pouvoir s'en prend à une série historique populaire, souligne Camille Liffran, chercheuse associée à Asia Centre et spécialiste de la Chine contemporaine : "L'arrêt de la série et les critiques officielles à son encontre s'inscrivent dans le cadre de directives, notamment émises autour du 19e Congrès national du Parti communiste chinois à l'automne 2017 et visant à élever ‘la moralité du peuple’, à renforcer ‘la civilisation spirituelle chinoise’ et à participer à ‘la grande renaissance de la nation’ en mettant en avant les héros et valeurs socialistes".
"Un nouvel avertissement à l’industrie audiovisuelle"
Pour la chercheuse, l'arrêt de la série est loin d’être un cas isolé. "La censure s'exprime souvent de manière plus ‘subtile’. L'administration d'État de la télévision et la radio demande ainsi régulièrement de couper dans les séries locales des scènes jugées un peu trop audacieuses et il est maintenant très rare de voir ne serait-ce que des scènes de baisers", souligne-t-elle. Dans tous les cas "les séries diffusées sur les voies mainstream sont toujours ‘validées’ par le pouvoir".
Puisque la série a déjà été largement diffusée et qu’elle est toujours en ligne sur la plateforme IQiyi (plus ou moins l’équivalent chinois de Netflix), Camille Liffran estime que la décision des autorités chinoises vise avant tout à envoyer "un nouvel avertissement à l’industrie audiovisuelle". Ainsi, à l’avenir, les sociétés de production, qui sont de toute façon publiques, devraient réfléchir à deux fois avant de produire une saga historique.
Les séries promues par le pouvoir existent : ce fût le cas, en 2016, d’"Au nom du peuple", une série sur la lutte anti-corruption… thème de la campagne d’envergure lancée à l’issue du 18e Congrès national du Parti communiste chinois en 2012. C’est lors de ce même congrès que Xi Jinping devint numéro 1 du parti. Or, selon la chercheuse, "il est certain que l'on assiste, sous Xi Jinping, à un resserrement du contrôle idéologique dans les secteurs culturel, médiatique et académique en Chine".
Le contexte de ce renforcement du contrôle peut sembler paradoxal : "La Chine a beaucoup investi cette dernière décennie pour 'exporter' la culture chinoise. Son industrie cinématographique s'est considérablement développée, avec une démarche expansionniste et une volonté d'à la fois attirer le public étranger pour promouvoir l'image de la Chine, mais aussi attirer les réalisateurs et producteurs étrangers", relève la chercheuse.
Avec le coup porté à "L'histoire du palais Yanxi", un risque se dessine : "Peser à terme sur la crédibilité des productions chinoises qui tendent parfois à se confondre avec de la propagande".