En visite historique aux Émirats arabes unis pour trois jours, le pape François a été reçu par le prince héritier et le grand imam de l'université Al-Azhar. Au menu de la rencontre, le dialogue interreligieux et la situation au Yémen.
"Je suis ici comme un frère" : cette déclaration du pape François a été reprise par toute la presse émiratie. En visite aux Émirats arabes unis pour une durée de trois jours, il a participé lundi 4 février à une rencontre interreligieuse. Mardi, il célèbrera une grande messe, totalement inédite pour la région, qui devrait accueillir 135 000 fidèles.
Le souverain pontife a eu un entretien avec le prince héritier d'Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, homme fort des Émirats, qui s'enorgueillit de la "coexistence pacifique" entre les religions dans son pays.
Le pape François a remis à son hôte un médaillon encadré représentant la rencontre en 1219, durant les croisades, entre Saint François d'Assise et le sultan Malek al-Kamel en Égypte, un jalon vieux de 800 ans du dialogue entre musulmans et catholiques.
De son côté, le prince héritier a remis au pape l'acte notarié, daté de 1963, offrant une terre pour la construction de la première église des Émirats.
Le souverain pontife a rencontré dans la même journée le grand imam sunnite d'Al-Azhar, cheikh Ahmed al-Tayeb, à qui il avait rendu visite en Égypte en 2017, et qui a eu des mots très durs contre les jihadistes.
Plaidoyer en faveur de la liberté religieuse
Le grand imam préside le "Conseil musulman des anciens", fondation créée à Abu Dhabi pour promouvoir la paix et qui est l'instigatrice de la rencontre interreligieuse internationale. Quelque 700 personnalités y participent, dont des patriarches d'Églises catholiques orientales et des rabbins.
Devant les responsables religieux, le pape a plaidé en faveur d'une liberté religieuse. "Parmi les libertés, je voudrais souligner la liberté religieuse. Elle ne se limite pas à la seule liberté de culte", a-t-il déclaré. Il a aussi jugé qu'aucune pratique religieuse ne devait être "forcée" sur une personne.
Il a également appelé l'ensemble des pays du Moyen-Orient à accorder "le même droit à la citoyenneté" aux personnes "de diverses religions".
"Non seulement ici mais dans toute la bien-aimée et névralgique région moyen-orientale, je souhaite des opportunités concrètes de rencontre : que des sociétés où des personnes de diverses religions aient le même droit de citoyenneté", a-t-il dit dans un discours insistant sur la notion de "fraternité".
"Il n'existe pas de violence qui puisse être justifiée religieusement" a poursuivi le pape argentin.
"La fraternité humaine exige de nous, représentants des religions, le devoir de bannir toute nuance d'approbation du mot guerre", a-t-il martelé, en estimant que la guerre est synonyme de "misère" et de "cruauté".
Dialogue interreligieux
À la fin de leurs discours, les deux hauts dignitaires ont signé un document engageant leurs institutions à "lutter contre l'extrémisme". Ils se sont donné l'accolade à la fin de la cérémonie.
Aux yeux du Vatican, "la réunion est le message" de ce 27e voyage du pape à l'étranger. Le dialogue interreligieux, tout particulièrement avec l'islam, est devenu un thème majeur des six premières années de sa papauté.
Après avoir déclaré 2019 "année de la Tolérance", les Émirats soignent leur image et sont fiers de compter une population composée à plus de 85 % d'expatriés de toutes les nationalités et toutes les religions. "Une terre qui cherche à être un modèle de cohabitation", selon le pape.
"Tolérance zéro" face à "l'extrémisme"
En 2014, les Émirats avaient rejoint la coalition internationale antijihadistes en Syrie et, pour bien montrer leur "tolérance zéro" à l'égard de "l'extrémisme", avaient ensuite interdit 83 groupes qualifiés de "terroristes".
Le pape a déjà sommé le monde musulman -dirigeants politiques, religieux et universitaires- de condamner sans ambiguïté le terrorisme, source d'islamophobie.
Mais les autorités de cet émirat du Golfe contrôlent les médias locaux, interdisent les partis politiques et emprisonnent les opposants, ont déploré Amnesty International et Human Rights Watch en demandant au pape de soulever la question des droits humains.
Appel à la paix au Yémen
L'ombre de la guerre au Yémen plane cependant sur le voyage. Très fortement engagés dans ce conflit auprès depuis 2015, les Émirats sont accusés par des ONG de multiples bombardements contre la population civile.
Le pape François n'a pas manqué de dénoncer cette guerre et d'appeler à la paix. "La guerre n'amène rien d'autre que la misère, les armes n'apportent que la mort. Ses conséquences tragiques sont sous nos yeux. Je pense en particulier au Yémen, à la Syrie, à l'Irak et à la Libye", a-t-il déclaré avant d'ajouter : "Engageons-nous ensemble contre la logique de la force armée".
Le Yémen, pays pauvre de la péninsule arabique, est le théâtre de la pire crise humanitaire au monde selon l'ONU, en raison d'une guerre dévastatrice.
Avant d'arriver dimanche à Abu Dhabi, le pape avait pressé les protagonistes au Yémen de "favoriser de manière urgente le respect des accords établis" sous l'égide de l'ONU, surtout pour une trêve dans la ville portuaire d'Hodeïda, essentielle à l'acheminement de l'aide internationale. La population paye un lourd tribut et "de très nombreux enfants souffrent de la faim", a rappelé le pape.
Messe pour 135 000 fidèles
Mardi, le chef de l'Église catholique célèbrera une messe dans un stade d'Abu Dhabi, "événement quasi inespéré" pour les fidèles catholiques, très majoritairement des travailleurs immigrés asiatiques des Philippines et d'Inde, décrit le Saint-Siège.
Quelque 135 000 billets ont été distribués pour l'intérieur du stade. L'extérieur aussi devrait déborder de fidèles, lesquels seront salués par François en "papamobile".
Dans ce pays, la présence de lieux de culte chrétiens fréquentés par des étrangers est tolérée, à condition que ces derniers restent discrets et évitent le prosélytisme. Aucune célébration ne peut toutefois se faire publiquement. La messe du pape revêt donc un caractère exceptionnel.
Environ un million de catholiques vivent aux Émirats, soit près de 10 % de la population. Le pays compte huit églises catholiques, le plus grand nombre de la région.
Avec AFP