Les États-Unis ont annoncé vendredi leur retrait du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, conclu en 1987 avec la Russie. Une nouvelle course aux armements n'est pas à exclure.
C’est une page de l’ère post-guerre froide qui se tourne. Washington a annoncé, vendredi 1er février, son intention de se retirer du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), un accord bilatéral signé en 1987 avec la Russie qui avait marqué un pas important dans le processus de détente entre les États-Unis et l’URSS.
Le président américain Donald Trump accuse Moscou de violer ce traité, qui interdit de développer, tester et déployer au sol des missiles conventionnels ou à tête nucléaire d’une portée comprise entre 500 et 5 500 km. En octobre 2018, Washington avait lancé un ultimatum à Vladimir Poutine expirant le 2 février et lui enjoignant de prouver qu’il n’avait pas installé des missiles d’une portée d’un peu plus de 2 000 km à Ekaterinbourg, dans l’Oural. La Russie avait nié que ce missile viole le traité, accusant Washington en retour d’être en infraction à cause de lanceurs de missiles installés en Roumanie. Depuis lors, les négociations pour sauver le traité FNI avaient échoué.
L’ombre chinoise
Un retrait unilatéral américain ne signifie pas pour autant que l’accord est mort. Le texte prévoit une période de six mois pour donner une chance à la diplomatie. Mais "politiquement, le traité est probablement déjà enterré", assure Wolfgang Richter, spécialiste des questions militaires européennes à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, contacté par France 24.
Donald Trump et son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, n’ont jamais caché leur volonté de s’en débarrasser. Ils le considèrent comme un handicap face à la Chine qui, elle, n’est pas signataire et peut donc développer son arsenal sans entrave. Wolfgang Richter, qui a été conseiller militaire pour l’Allemagne à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), déplore aussi un manque flagrant de volonté de coopérer entre Moscou et Washington. Les États-Unis "disposent probablement des preuves de l’existence de ces armes russes recueillies par les services de renseignement, qu’ils ont dû partiellement partager avec leurs alliés pour s’assurer leur soutien, mais ils n’ont rendu publique aucune image satellite et n’ont pas demandé à faire des vérifications sur place comme cela est prévu par le traité", note cet expert.
La raison : "Moscou pourrait demander en retour de vérifier les installations en Roumanie, ce dont Washington ne veut pas", explique Wolfgang Richter. Les États-Unis assurent que leurs lanceurs sur place ne sont qu’à vocation défensive – donc autorisés par le traité FNI –, ce que Moscou conteste.
Nouvelle course aux armements nucléaires ?
Si cette impasse diplomatique mène effectivement à un retrait unilatéral américain, Vladimir Poutine a assuré qu’il pourrait "bien faire de même". La mort du traité FNI aurait alors avant tout un "impact historique et symbolique", estime Wolfgang Richter. Cet accord avait été conclu dans les années 1980 pour mettre un terme à la course aux armements sur le sol européen. Les États-Unis avaient démantelé 846 missiles installés en Europe et les Soviétiques s’étaient débarrassés de 1 846 armes à portée intermédiaire. Dans l’esprit des signataires, le traité "marquait la volonté d’ouvrir une période de sécurité militaire et de coopération internationale dans le domaine des armes nucléaires", rappelle ce spécialiste allemand. C’est cet esprit qui risque d’être enterré en août prochain, si la phase diplomatique échoue.
Les conséquences sur le plan militaire sont beaucoup plus incertaines. D’abord parce que les avancées dans le domaine de la guerre maritime et aérienne ont rendu l’efficacité du traité FNI – qui ne couvre que les missiles au sol – très relative. Ensuite, si le risque d’une nouvelle course aux armements existe, "il faudrait aussi trouver des pays hôtes pour héberger les lanceurs, ce qui ne va pas de soi", juge Wolfgang Richter. Il estime que l’Allemagne et la France feraient tout pour éviter une telle escalade. Quant à la Russie, "ce n’est pas dans son intérêt de se lancer dans une telle aventure au vu de l’état fragile de son économie", assure cet expert.
Mais, pour lui, ce retrait unilatéral est surtout un signe de la détérioration de la coopération internationale dans le domaine militaire. Au lieu de tirer un trait sur le traité FNI, Washington aurait pu essayer d’en renégocier les termes pour renforcer les contrôles, ou alors tenter de le transformer en accord multilatéral, qui inclurait la Chine, la France et le Royaume-Uni. Un objectif plus ambitieux que de se retirer unilatéralement du traité, même si la mission se serait avérée difficile. En effet, ces trois pays avaient déjà refusé de signer un tel accord en 2007, arguant du fait qu’ils avaient beaucoup de retard à rattraper sur les États-Unis et la Russie, qui détiennent 90 % du stock mondial des missiles à portée intermédiaire.
Cette dégradation du climat international "est aussi un mauvais signe pour le traité New START [qui limite le nombre de lanceurs et d’armes nucléaires à longue portée, NDLR]", avertit Wolfgang Richter. Cet accord central du dispositif de non-prolifération nucléaire arrive à expiration en 2021. Si l’entêtement de l’administration Trump à remettre en cause tous les accords, y compris les plus sensibles comme le FNI, signait aussi la fin du traité New START, "ce serait la première fois depuis les années 1960 qu’il n’y aurait plus aucun mécanisme international en place pour protéger le monde contre la menace de prolifération nucléaire, et une nouvelle course aux armements", conclut Wolfgang Richter.