Une mosquée où les prêches seraient faits alternativement par un homme et une femme pourrait voir le jour à Paris. Une première en France, mais pas dans le monde.
Une mosquée "inclusive" où les prêches du vendredi seraient prononcés tantôt par un homme, tantôt par une femme, devant une assemblée réunissant dans la même salle les fidèles des deux sexes, avec, toutefois, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Une telle mosquée pourrait prochainement voir le jour en France. Défendu pour la première fois noir sur blanc en novembre 2018, le "projet de la mosquée Fatima" est actuellement en phase de recherche de financement et d’un lieu en région parisienne.
La femme imame de la future mosquée Fatima, elle, est toute trouvée en la personne de Kahina Bahloul, porteuse du projet avec le journaliste indépendant et professeur de philosophie Faker Korchane. Kahina Bahloul, Franco-Algérienne de 39 ans, est doctorante en islamologie à l'École pratique des hautes études.
Rencontrée par France 24 début janvier, elle expliquait son désir de devenir imame par "le sentiment de ne pas être en adéquation avec ce qui se pratique dans les mosquées traditionnelles et salafistes". "Le gros problème de l’islam aujourd’hui est qu’il est lu à travers des lunettes d’hommes qui ont une compréhension de la société qui est très patriarcale, pour ne pas dire misogyne", expliquait-elle, en ajoutant : "Au XXIe siècle, on devrait pouvoir aborder les textes religieux d’une autre manière." Et l’islamologue de souligner : "Il est important pour les femmes musulmanes d’oser prendre leur place entièrement au sein des lieux de culte musulmans."
Depuis longtemps engagée "dans la déconstruction du discours salafiste misogyne et très conservateur de différents courants en islam", Kahina Bahloul a affirmé sa volonté d’incarner un imamat féminin après les attentats de 2015 : "Le choc a été tel que je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose en tant que musulmane française, et en tant que femme", explique-t-elle.
Alors que, dans les mosquées, les femmes ont déjà rarement accès à la salle principale de prières, elle est lucide sur l’hostilité que pourrait générer sa démarche : "Beaucoup de gens ne sont pas prêts à accepter qu’une femme prenne le leadership, notamment dans le domaine religieux." L'annonce a, en revanche, suscité un vif intérêt médiatique.
La rabbine Delphine Horvilleur pour modèle
Ailleurs dans le monde, essentiellement dans des pays occidentaux mais avec des exceptions notables en Chine ou encore en Afrique du Sud, des femmes ont déjà accès à l’imamat. Sherin Khankan, la première femme à devenir imame au Danemark en 2016, a suscité l’attention des médias du monde entier.
Auparavant, à New York en 2005, Amina Wadud marqua les esprits en devenant la première femme à diriger une prière mixte. En Allemagne, en Suisse, au Canada, des femmes sont imames. Sans surprise, ce sont les partisans d’un islam réformateur voire libéral qui sont favorables à un accès de l’imamat aux femmes. Selon eux, il n’existe pas d’obstacle théologique au fait qu’une femme soit imame.
La chercheuse au CNRS Sylvie Taussig, qui a consacré, conjointement avec l’islamologue Karim Ifrak , un long article au projet d'un imamat féminin en France vendredi 1er février dans The Conversation, juge, pour sa part, la question théologique complexe et relève que les prérogatives de cet imamat restent à définir : "L’imame du Danemark célèbre les mariages (l’équivalent d’un acte civil en islam), mais ne prononce pas la prière mortuaire."
Sylvie Taussig note aussi que cet imamat féminin "passe fortement par les médias et les réseaux, et émane de personnalités connues par ces moyens plus que par une inscription dans les milieux musulmans". Le modèle d'évolution étant, selon elle, la rabbine Delphine Horvilleur du Mouvement juif libéral de France.
De fait, dans un portrait du Parisien consacré à cette dernière mi-janvier, l’islamologue Rachid Benzine déclare : "Delphine Horvilleur fait beaucoup de bien à la société française. Elle n’est pas encapsulée dans sa communauté. Je connais beaucoup de jeunes femmes musulmanes qui la lisent et l’admirent. Elle parle d’abord en tant que femme. Et il s’avère qu’elle est juive. Il faudrait des femmes imames, comme elle, pour faire bouger les choses."
Cela ne semble être qu’une question de temps. Outre le projet de la mosquée Fatima, un autre projet de mosquée progressiste (la mosquée Simorgh) est actuellement portée par deux femmes, Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, fondatrices de l’association Voix d’un islam éclairé. Un projet qui pousse encore plus loin l’inclusivité en prônant la "mixité complète de l’assemblée des priants".