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Au Mexique, Lopez Obrador impulse une nouvelle politique d'accueil des migrants

Depuis son investiture en décembre 2018, le nouveau président mexicain, Andre Manuel Lopez Obrador, surnommé Amlo, a dû adapter sa politique migratoire face à l'afflux de Centraméricains qui, pour gagner les États-Unis, traversent son territoire.

C'est le baptême du feu pour le gouvernement du nouveau président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador. Une caravane de 2 000 migrants centraméricains traverse actuellement le pays et met à l'épreuve sa nouvelle politique migratoire. Amlo promet à ces exilés un "accueil humanitaire" et "des emplois".

Le passage de la frontière de la nouvelle caravane de migrants, la troisième en six mois, en est l'illustration. Vendredi 18 janvier, à l'aube, plusieurs centaines de migrants ont traversé le pont frontalier entre le Guatemala et le Mexique ou ont traversé le fleuve Suchiate à bord d'embarcations de fortune faites de grands pneus. Les migrants ont pu traverser la frontière sans être stoppés par les autorités mexicaines et sans affrontement avec les forces de l'ordre. La veille, selon l'Institut national mexicain des migrations (IMM), 969 migrants en provenance du Honduras, du Salvador, du Guatemala et du Nicaragua avaient franchi le poste frontière d'Hidalgo, qui sépare le Guatemala et le Mexique. Ils se sont vu proposer des visas humanitaires leur permettant de travailler au Mexique ou de poursuivre leur route vers les États-Unis.

"Tout cela est nouveau", relève Jean Clot, spécialiste des migrations latino-américaines à Sciences-Po Grenoble, joint par France 24. "Il n'y a pas eu de situation tendue à la frontière ou de gaz lacrymogène comme lors du passage de la caravane en octobre 2018."

Pour le chercheur, cela tranche nettement avec la politique du prédecesseur d'Amlo, Enrique Peña Nieto : "Les déclarations de Peña Nieto durant son mandat étaient teintées de progressisme, de mise en avant des droits des migrants. Il a lancé en urgence le programme 'mi casa es tu casa', il a parlé de l'hospitalité mexicaine, il y a eu beaucoup de communication mais concrètement il y a eu peu d'actions", estime Jean Clot.

"Les seules actions seraient même contraires. il y a eu des milliers d'expulsions de Centraméricains", rappelle-t-il. "Amlo, au contraire, a directement envoyé un message d'ouverture, de tolérance et de solidarité. Ce visa humanitaire, c'est une mesure concrète."

Un changement de politique face aux circonstances

Pour Christophe Ventura, directeur de recherches à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), la différence entre les deux administrations est palpable : "Il y a un vrai changement au niveau de la politique. Amlo veut que le Mexique respecte ses engagements internationaux, notamment au niveau du droit à la migration. Il veut garantir un droit de passage par le Mexique, en sécurité, sans répression de la part des forces de sécurité", explique le spécialiste de l'Amérique latine, joint par France 24.

"Il y a une vraie différence idéologique entre Amlo et Enrique Peña Nieto", note Hélène Roux, chercheure-associée à l'université Paris-I et journaliste indépendante spécialiste de l'Amérique centrale. "L'idée est d'accueillir les migrants mais en même temps, il peut difficilement faire autrement. La caravane de migrants d'octobre a été une surprise de par son ampleur. Elle a obligé le gouvernement, quel qu'il soit, à une réponse politique alors que jusqu'ici la question des migrants centraméricains transitant par le Mexique était plutôt minimisée voire traitée par le mépris."

Des mesures pour tenter de garder les migrants au Mexique

Face à l'afflux migratoire, le gouvernement a ouvert de nouvelles structures destinées à accueillir ces exilés qui, pour la plupart, s'entassent dans des camps de fortune le long de la frontière en attendant que l'administration américaine s'occupe de leur dossier.

Le visa humanitaire que propose le gouvernement permettrait à ceux qui en disposent de travailler et d'accéder à des soins et à l'éducation pour leurs enfants. L'accueil du dispositif est cependant mitigé. Des migrants de la caravane l'ont tout simplemetn refusé, selon l'AFP, afin de gagner au plus vite la frontière nord.

Ce dispositif était loué par Jan Jarab, représentant au Mexique du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits humains. "Les politiques antérieures, qui poussaient les migrants à se cacher, les exposaient à de grands risques avec le crime organisé. Alors leur permettre de régulariser leur présence [...] pour travailler au Mexique est très différent de ce que nous avons vu et nous le saluons", a-t-il déclaré.

Le président mexicain mise également sur des projets ambitieux pour fournir du travail aux migrants : "Il évoque d'immenses projets agro-industriels dans lesquels il serait question d'employer des migrants centraméricains (majoritairement issus de territoires ruraux, NDLR)", explique Hélène Roux.

"Amlo a également le projet de créer une zone franche à la frontière nord. Il veut y baisser la TVA et augmenter les salaires, en faire une zone de développement pour attirer la main d'œuvre centraméricaine et éviter qu'elle souhaite passer de l'autre côté", ajoute Jean Clot.

Un levier diplomatique puissant

Si Andre Manuel Lopez Obrador est si prompt à se pencher sur le cas des migrants, c'est aussi parce que cela lui permet de disposer d'un moyen de négociation avec son puissant voisin du Nord et son président, Donald Trump.

"Il veut éviter la confrontation directe avec Donald Trump sans pour autant se plier à ses exigences. Il refuse de financer son mur frontalier ou de militariser la frontière sud comme l'exige le gouvernement américain", explique Chistophe Ventura. Cette frontière sud, Donald Trump et son vice-président Mike Pence ont appelé à de multiples reprises à son renforcement. "La frontière des États-Unis commence au sud du Mexique", résume Hélène Roux.

"Le Mexique est vu comme un État-tampon pour les États-Unis", explique Jean Clot. Expert de cette zone où il a travaillé de nombreuses années, il l'a décrit comme "ultra-verrouillée". Sur la route entre la ville frontalière de Tapachula et la capitale du Chiapas, Tuxtla Gutiérrez, on peut être contrôlé entre 5 ou 6 fois en 350 kilomètres."

Pourtant Amlo refuse d'être cet État-tampon. "Il ne veut pas devenir un 'pays tiers sûr' où est sous-traité le traitement des demandes d'asile, à l'instar de ce qu'est la Turquie pour l'Europe", explique Christophe Ventura. "Il souhaite régulariser les migrants en échange d'un détournement des fonds destinés à l'Amérique centrale vers le Mexique pour la création d'infrastructures. Et Donald Trump serait intéressé."

"La question de la gestion des migrants centraméricains est un puissant instrument pour récupérer une visibilité diplomatique qu'il a perdue depuis le début des années 2000", conclut Hélène Roux.