
Annoncé vaincu par le président américain Donald Trump, l'organisation État islamique a revendiqué, ces dernières semaines, plusieurs attentats meurtriers en Syrie dans des zones dont il a pourtant perdu le contrôle. Décryptage avec Wassim Nasr.
Malgré la perte de ses bastions urbains en Syrie, l'organisation État islamique (EI), qui ne contrôle plus que quelques villages au nord et sud de l’Euphrate, dans la province de Deir Ezzor, continue de constituer une menace.
Annoncé vaincu par le président des États-Unis, Donald Trump, qui a décidé de retirer les troupes américaines de Syrie, le groupe jihadiste a revendiqué, ces dernières semaines, plusieurs attentats meurtriers dans des zones dont il a pourtant perdu le contrôle.
Un convoi des forces américaines et de leurs alliés locaux en Syrie a notamment été pris pour cible le 21 janvier par un kamikaze au volant d'une voiture piégée, près de Chadadi, dans le nord-est du pays. Cinq combattants ont été tués. Et ce, moins d'une semaine après une attaque meurtrière également revendiquée par l'EI contre une patrouille américaine à Manbij (nord), qui a coûté la vie à quatre Américains, cinq combattants arabo-kurdes et dix civils.
Privé de son "califat" autoproclamé, à cheval sur la Syrie et sur l’Irak, par les offensives arabo-kurdes appuyées par la coalition internationale, l’organisation est retournée dans la clandestinité. Selon Wassim Nasr, journaliste de France 24 spécialiste des mouvances jihadistes, il s’agit d’une stratégie qui démontre que l’EI est toujours présent partout en Syrie et reste en capacité de frapper là où il le souhaite.
France 24 : L’EI s’est manifesté à plusieurs reprises dans des zones en Syrie qu’il a perdues depuis plusieurs mois voire des années, en commettant ces dernières semaines plusieurs attentats et notamment contre des soldats américains. Peut-on parler d’une résurgence de l’organisation alors qu’elle était annoncée en perdition dans ce pays ?
Wassim Nasr : Il ne s’agit pas d’une renaissance ou d’une résurgence, mais d’un choix tactique qui est lié à la mise en veille des ambitions territoriales de l’organisation. L’EI a renoué avec un mode opératoire insurrectionnel, en vigueur entre 2007 et 2013 en Irak. Il s’agit notamment pour les jihadistes du groupe de perpétrer des attentats ou des attentats-suicide s , de mener des attaques contre des barrages ou des convois, et de commettre des assassinats ciblés de responsables politiques, de personnalités ou de simples notables ou fonctionnaires. Ce choix tactique était planifié, car l’EI savait qu’à terme, il perdrait le contrôle des milieux urbains et des territoires conquis. Cette stratégie leur permet de constituer une menace permanente, d’être peu visible, insaisissable, sans ligne de front fixe, et donc difficile à combattre. Ce mode opératoire est appliqué aujourd’hui partout en Syrie, que ce soit à Raqqa, à Manbij, où des soldats américains ont été récemment tués. Voire même à Idleb, d’où l’EI avait pourtant été chassé par les rebelles en 2014, ce qui n’empêche pas des cellules d’y commettre des attentats. L’organisation s’appuie sur des groupuscules opérationnels présents sur l’ensemble du territoire syrien, où l’organisation a réussi à tisser, après plusieurs années de contrôle territorial et administratif, une toile composée de personnes qui lui sont acquises. Des sympathisants prêts à agir, ou à simplement jouer les informateurs ou les logisticiens.
Quel est le but de cette stratégie, sachant que l’EI, en l’état, n’est plus en mesure de reconquérir les territoires perdus ?
Le but de cette guerre est de harceler et d’infliger des coups loin de la ligne de front pour maintenir l’adversaire sous pression en faisant peser un danger constant et en perturbant ses routes de ravitaillement? comme lors du dernier attentat de Chadadi, le 21 janvier. Cela oblige l’adversaire à maintenir des combattants partout sur le territoire. En outre, cette stratégie permet à l’EI de démontrer que ses jihadistes sont présents et en capacité de frapper là où ils le souhaitent, selon les opportunités. L’attentat de Manbij a été commis par un kamikaze, qui a agi en fonction de renseignements très précis qui lui ont été fournis dans une ville qui est sous haute surveillance. Cela prouve qu’il y a dans l’ombre toute une logistique humaine (renseignements) et matérielle (explosifs et déplacements) qui fonctionne toujours, et ce malgré la pression militaire que subit l’EI. Après la perte de ses territoires, l’organisation s’est restructuré e en simplifiant sa chaîne de commandement, il ne reste plus que deux wilayas [ province ou préfecture en arabe, NDLR] au Levant, l’une en Syrie et l’autre en Irak, placées sous l’autorité de leur chef Abou Bakr al-Baghdadi. Enfin, sur le terrain de guerre, les commandants militaires jouissent d’une grande liberté d’action, même s’ils ne peuvent plus compter sur l’afflux de jihadistes étrangers, qui est coupé. Toutefois, il faut rappeler que le plus gros des recrues de l’EI en Syrie sont des Syriens, comme en Irak ils sont Irakiens.
En s’attaquant aux soldats américains, ne risquent-ils pas de faire changer d’avis Donald Trump, qui a décidé de retirer ses troupes de Syrie ?
L’EI n’a pas la même grille de lecture que les Américains et leur agenda diplomatique. Ils ont frappé les soldats américains par pragmatisme, en saisissant une opportunité sans se soucier des conséquences de leur acte sur l’annonce de Donald Trump. Sachant que pour eux, c’est du quitte ou double, soit il peut accélérer le retrait, comme lorsque l’armée américaine avait évacué du Liban après l’attentat contre les Marines de 1983 à Beyrouth, soit au contraire provoquer un changement de plan américain.